Reprendre le flambeau ( Eve )

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28 juillet 1943, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Depuis quelques jours, à peu près une semaine, je sens qu'Hans se doute de quelque chose sur mon compte. Il ne me regarde presque plus, il ne m'embrasse plus, il fait comme si je n'étais pas là. Des fois je me demande si quelqu'un n'est pas allé lui dire que j'ai repris le flambeau de Maxence...
Le pire dans tout ça, c'est que malgré de vouloir détruire toute la race allemande, le fait que le colonel Leyers ne me regarde plus me blesse d'une certaine manière bien écœurante. Ce type, cet allemand venu de nulle part m'a clairement envoûté et dévié de ma véritable voie. Lui résister. Je ne veux tellement pas l'aimer, c'est plus fort que moi, je ne veux pas trahir mon propre grand-père dont ses parents se sont battus contre l'empire prussien en 1870, lui-même a résisté contre les Boches... mais moi dans tout ça ? Ne suis-je qu'une traîtresse qui a failli à ma promesse de détruire Hans ?

J'ai retrouvé la lettre que je m'étais écrite à moi-même quand les troupes nazies, elle était sous mon oreiller pour qu'il ne la voit jamais. Peut-être qu'il l'a vue sans que je ne m'en rende compte, pendant qu'il se rhabillait qui sait ?
Je l'ai dépliée pour la relire.

Tu n'as qu'une seule chose à faire Eve. Je ne sais pas quand tu reliras ça, si tu seras vieille femme ou quoi, mais à l'époque où je t'écris en 1942, plusieurs divisions SS, les Boches sont arrivés à Saint Nazaire. Ils ont tout envahi jusqu'aux maisons de ces pauvres femmes qui perdent leur mari à tour de bras. Je faisais partie des rares chanceuses qui n'ait pas reçu de Schleus chez elle, mais si ça arrive à l'avenir... Il faut vraiment pas que tu cèdes à leur charme, les françaises ne sont considérées par les allemands que comme des objets sexuels qu'ils se servent en fonction de leur humeur. Puis pense à ce pauvre Papi que tu dois t'occuper encore, il résistera jusqu'à sa mort contre l'Occupation de l'allemand, être la maîtresse de l'un d'entre eux serait la pire des trahisons. Tu trahirais Papi et Maxence.
Alors si un jour, un de ces enfoirés débarquent chez toi avec leur uniforme tachée du sang des autres, fais comme s'il n'existe pas, mais Eve si tu es trop faible d'esprit pour refuser un sale Boche, fais toi plaisir il n'y a pas de problème. Mais dans ce cas, il faut que tu joues avec lui pour mieux le détruire lui et son peuple après.
Survis pour ta famille. Vivre libre ou mourir.

- Eve Dechambord de 1942.

Je me suis mise à pleurer à chaudes larmes contre la tête de mon lit, réalisant à peine ce dans quoi je suis en train de me fourrer. Je faillis à tout ce que je m'étais jurée de ne pas faire, m'attacher à un allemand.
Au fond de moi, je sais que je l'apprécie beaucoup, ce n'est pas de l'amour pur et dur, mais rien que le fait de m'attacher à lui me répugne. Comment ai-je pu ? Je suis une traîtresse...

Prouve ta valeur, me disait souvent mon père.

Soudainement, en pensant à toutes les choses que j'ai perdu depuis que les Boches sont ici, je me suis levée en posant la lettre sur mon lit.

《 Papi je sors !
- Où vas-tu habillée comme un homme comme ça ?
- Euh, je vais faire un peu de gymnastique dehors, ai-je menti.
- Fais attention à toi ! 》

Je suis allée embrasser mon grand-père, lisant comme d'habitude des ouvrages de Victor Hugo.
J'ai observé la place, il n'y a pas grand monde à part des femmes discutant à la terrasse des Dubois et des soldats allemands à deux doigts de s'effondrer d'ivresse. Personne ne me remarquera.
J'en ai assez de trahir mes valeurs les plus profondes, pourquoi suis-je tombée amoureuse d'un allemand ? Comment a-t-il fait ? J'ai beau lutté face à cette attirance, face à l'alchimie qui nous lie mais il m'a envoûté.

Je suis allée en catimini dans l'entrepôt militaire qu'avait mon grand-père maternel décédé. Il se nommait Louis, il détenait une splendide usine de munition de guerre, transmise par son propre père.
L'entrepôt est très reculé, à l'extérieur du village caché dans les forêts du Pont de Landeyran. Les allemands n'ont pas connaissance de ce lieu. Alors j'en profiterai pour prendre une grenade. Je vais détruire la Kommandantur du village. Je le ferai, dissimulée comme lorsque j'ai tué trois nazis pour défendre Maxence, dans un bosquet surplombant le bâtiment à l'effigie du régime hitlérien.

Me voilà dans le grand bâtiment, recouvert de part et autres de toiles d'araignées. Envahie d'une soudaine colère à l'égard de ce peuple vulgaire et violent venu nous envahir, faisant valser tout notre train de vie, ayant causé la fuite de mes parents et mes sœurs, tuant et maltraitant... En fouillant dans les tiroirs, les mains plongées dans les munitions, certaines légèrement rouillées j'ai remis tous mes actes depuis que Hans est arrivé dans ma vie. C'est fou à quel point cet homme a amené dans ma vie tant de découvertes sur moi-même, sur la société en général.
Mes yeux se sont rivés sur la grenade entre mes doigts. J'ai regardé cet instrument minuscule et métallique rouler sur la paume de ma main. C'est fou, jamais je n'aurais pensé que cette petite chose sphérique puisse détruire et tuer.

Je l'ai saisi et placé dans le poche du genoux du treillis qu'avait laissé mon père en partant.
Me voilà serpentant au travers des fourets, courant accroupie dans l'herbe. J'ai passé quelques bonnes minutes sur ce talus.
Je peux voir l'arrière de la Kommandantur, je vois aussi la cour arrière où des soldats fument la cigarette et les cigares pour les plus puissants. Je dois avoir la certitude qu'Hans n'est pas dans ce hideux bâtiment abritant les plus gros secrets de l'Europe.
Ma prière intérieure a été entendue par le Seigneur.

《 Hey Jäger ! gronde Marinus. Il est où Leyers ?
- Il a dû partir chez Fräulein Dechambord mon général. 》

C'est bon. À moi de jouer.

Les mains commençant à suer à foison, le ventre tremblant, les poumons ayant des spasmes, j'ai pris avec précaution la grenade au fond de ma poche.
Tenir cet instrument entre mes doigts m'a donné une sensation exquise de dangerosité et d'interdit, j'ai pris une grande inspiration, j'ai couru et l'ai jeté le plus fort que j'ai pu.
Mais au lieu de partir, de me boucher les oreilles ou de faire quelque chose d'intelligent, je me suis sentie tomber au sol, déstabilisée par la puissante détonation qui m'a détruit les tympans.

Quelques secondes plus tard, j'ai observé avec une satisfaction morbide la Kommandantur s'effondrer en lambeaux face à la puissance de la flamme, les soldats allemands courant de partout, certains hurlant de douleur.
Me rendant compte que je peux me faire attraper à tout moment, je me suis vite relevée du sol estival et sec, j'ai couru sans m'arrêter le plus rapidement possible. Pendant ma course jusqu'à chez moi, j'ai souri, j'ai souri avec cette vague d'adrénaline et de fierté égocentrique, j'ai réussi ! Je l'ai vengé, j'ai vengé Maxence de l'injustice qu'il a subi.

En rentrant dans le salon de chez moi, littéralement à bout de souffle, respirant à courtes bouffées, légèrement accroupie m'appuyant la main sur le cœur comme si celui-ci aller s'envoler, j'ai plissé les yeux en voyant un petit bout de papier sur la table basse.
Je me suis approchée et l'ai ouvert.

Il y a des rumeurs qui courent sur toi meine engel, je ne sais pas si elles s'avèrent vraies, je ne l'espère pas honnêtement, je me serais trompé sur nous depuis le début. J'espère que c'est faux, mais je n'ai pu empêcher ta convocation dans 2 jours à 14h00. À ce soir.
- Ein Standartenfürher SS, Hans Leyers.

J'ai envie de lui répondre en toute honnêteté que ces rumeurs sont vraies, que je ne suis pas une Collabo, que je suis Résistante, que je l'ai apprécié contre mon gré au fil du temps...
Et le pire dans tout ça... Je vais être convoquée à la Kommandantur, toute seule face aux grands militaires nazis du village. Rien que le fait de m'imaginer face à Marinus me répugne.
J'ai pris le second papier emballé dans une enveloppe marquée de la croix gammée. J'ai vite compris.

Pour Mademoiselle Eve Dechambord,
Vous êtes convoquée à la Kommandantur dans 2 jours à 14h00 pile. Venez avec votre grand-père. Ne soyez pas en retard.
- Ein Oberstgruppenfürher SS, Marinus Strauss-Kahn.

Programmés pour tuerDonde viven las historias. Descúbrelo ahora