Homme faible ( Marinus )

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13 juin 1944, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Il s'en passe du temps sans mon acolyte. Les journées qu'autrefois je savourais jusqu'à la dernière minute se font bien plus fades, sans aucun intérêt de transcrire ses pensées sur un bout de papier. Le travail à la Kommandantur est devenu robotique, alors qu'avec Leyers aller là-bas avec ce gamin plein de vie était mon échappatoire, un bon moyen pour ne plus penser à Nikolaus sur le Front. Les secondes deviennent des minutes, les minutes sont des heures, des heures sont des jours, et chaque journée ressemble à une longue semaine éreintante. Le temps est éternel, les mois sont inépuisables en fatigue et en lenteur. J'attends désespérément de recevoir une de ses lettres, la sienne ou celle d'un soldat espagnol qui l'aurait vu. Je ne sais pas s'il est arrivé à Frías, s'il va bien, s'il est... Non c'est pas possible.

Je suis allé boire au bar Dubois toujours rempli des plus petits soldats, tous aussi vulgaires et exubérants les un que les autres. C'est un allemand qui a pris la Relève d'Anne, un jeune militaire se faisant un peu d'argent avant que je reçoive l'ordre de l'expédier sur les Fronts. Je lui ai commandé un whisky pur dans un verre quelconque, je ne suis pas si pénible à vouloir des verres spécifiques non plus. Je suis sorti avec ma boisson, avec cette impression devenue quotidienne d'avoir l'âme vidée de toute émotion.
C'est alors que ce gros et laid Capitaine Jäger est venu s'installer à côté de moi. Seigneur que je le déteste celui-là ! C'est à cause de lui et sa femme Helena que j'ai été obligé de faire fuir Leyers. Je ne lui pardonnerai jamais à cet homme hideux, il aura beau me faire des courbettes comme il sait si bien le faire, pour moi Emmrich rimera toujours avec la fuite de mon élève.

《Vous allez bien Général ?
- Je me porterai mieux si j'avais mes meilleurs éléments auprès de moi.
- L'Oberfürher Leyers est parti ? s'enquit-il un fin sourire aux lèvres.
- Il est parti travailler ailleurs, je ne veux pas qu'il travaille avec toi Jäger.
- Je vais commencer à me sentir vexé Général !
- Viens Jäger viens avec moi un peu plus loin on va parler tous les deux !
- On va où ?
- Au Dock. 》

Il n'y a bien évidemment personne au Dock. J'aurai l'occasion de me retrouver en tête à tête avec ce fumier et je pourrai enfin évacuer toute la haine que j'ai envers lui et envers tout ce stupide Reich qui m'ont arraché mon fils de sang, et mon fils de cœur.
Je l'ai amené là-bas en faussant l'amitié, riant avec lui alors qu'il ne sait pas ce qui l'attend au Dock. Je vais le saigner à blanc. Jäger représente à la perfection toute la violence, la vulgarité, la perfidie de cette nouvelle Europe. Je veux me voir avec son sang sur les mains, j'ai envie de me dire qu'en le faisant souffrir mes fils ne souffriront plus de là où ils sont.

《Installe toi Capitaine, après tout t'es chez toi ici non ?
- Oui merci Général, vous savez que c'est un honneur de...
- Oh arrête de parler et déguste ton cognac ! 》

Je l'ai observé tel un vautour sur sa proie, attendant qu'il soit assez dans les vapes pour commencer.

《Jäger, tu as fait quoi de mal dernièrement ?
- Quoi ? me répond-il en reniflant comme un porc. J'ai rien fait moi Général ! 》

À deux doigts d'exploser de rage, je suis allé tout fermer, volets et toutes les portes à clés, voyant que ce malotru ne préservera pas le peu de patience qu'il me reste.
Je suis revenu m'asseoir juste à côté de lui, en le fixant droit dans les yeux, répétant ma question voyant très bien que son ivresse irait à mon avantage.

《Tu es sûr de toi ?
- Je crois qu'avec ma femme on a fait un petit truc de mal mais suis pas sûr !
- Dis.
- On a dénoncé l'Oberfürher Leyers et sa femme de joie française à Himmler. On l'a dénoncé ah croyez-moi Général que j'ai pris mon pied à dénoncer ces fumiers.
- C'est toi le fumier Jäger.
- Oh mais je pensais ! C'est vous Général qui couvrez deux traîtres, l'un parce qu'il baise une française tous les soirs, et l'autre c'est parce que c'est votre fils que vous avez eu avec une traînée de soviétique c'est ça hein ?! Avouez le Général j'ai percé votre grand secret !
- Faites attention à ce que vous dites, ai-je grondé me sentant devenir de plus en plus incontrôlables.
- Sinon quoi ?! Vous allez appeler le Général Schumacher qui s'est fait défoncé sur le Front ? Ou vous allez appeler Leyers qui s'est fait attrapé par Jean Dechambord en Espagne ?
- Tu vas la fermer oui !!!
- Nein Général.
- Tant pis pour toi alors. 》

Je n'ai plus hésité une seule seconde, je me suis laissé aller à cette vague de colère noire qui m'envahit comme la Peste et j'ai craqué.
Je l'ai pris par le col de la chemise, le remettant bien droit face à moi. Il s'est approché vers moi d'un air menaçant mais je lui ai ri au nez comme je n'ai jamais ri de ma vie. Jäger a bien été décontenancé de me voir ainsi, à la limite de la folie. J'en ai profité pour serrer le poing et l'abattre en plein milieu de son nez le sentant se tordre et craquer dans un petit jet de sang. Me sentant soudainement plus léger, je lui ai enfoncé mon pied dans la mâchoire, le faisant rouler au sol, beaucoup trop satisfait de me défouler sur la cause de tous les malheurs de mes proches.

《Vas crever Jäger tu entends vas crever !!! 》

Il a tenté de se relever, avec un mouvement des bras enfantins il a essayé de me frapper au visage, de montrer en vain qu'il méritait d'être un homme, un Capitaine d'armée. Je lui ai attrapé le poignet et l'ai retourné, maintenant cette vieille carcasse face à moi, totalement pétrifiée et impuissante.

《À quoi cela revient hein Général ?
- Tu te sentiras aussi impuissant que le général Schumacher et l'Oberfürher Leyers qui doivent fuir à cause de toi ! 》

Et j'ai continué, prenant un plaisir dégoûtant et malsain à l'écouter hurler de douleur en sentant toutes ses phalanges devenir plus que poussière. Je l'ai étranglé d'une main, le ruant de coups avec l'autre. C'est peut-être sadique, mais j'ai aimé le voir se décomposer, le voir hurler en se sentant inférieur et fébrile face à moi.

《GÉNÉRAL !!!! Général arrêtez vous aller le tuer !!
- Pino ? ai-je répondu surpris, relevant ma main endolorie par le dur contact de ma peau contre celle de Jäger.
- Allez stop venez. 》

Assez décontenancé de le voir ici, j'ai laissé le corps ensanglanté de Jäger ne sachant que faire d'autre. Le chauffeur italien a commencé à porter le Capitaine tout mou sur son épaule, avant se tourner vers moi.

《Général, restez ici. Je vais amener le Capitaine à l'infirmerie et ferai croire que je l'ai trouvé dans la rue. Ne bougez pas d'ici entendu ?
- Écoutez Pino vous êtes bien gentils mais je ne veux pas vous écouter je saurai me débrouiller tout seul merci.
- Ah bon, s'étonne-t-il. Et bien écoutez j'ai promis à Hans de prendre soin de vous et voilà le résultat !
- J'ai besoin d'air excusez-moi. Repartez avec Leyers, il aura besoin de vous.
- À vos ordres Général.
- Laissez cette pourriture moisir ici ça fera des vacances.
- D'accord Général.
- Pino attendez !
- Ja ?
- Est-ce que Leyers va bien ?
- Oui Général, il vous passe toutes ses salutations et ses meilleurs souhaits pour vous et pour Eve Général. 》

J'ai souri en entendant cette nouvelle tout en sortant de ce Dock, regardant le Ciel, remerciant mille fois le tout puissant s'il y en a un. Le remerciant d'avoir béni Leyers et qu'il aille bien là-bas. Il est vivant. C'est le principal. J'ai remercié le chauffeur italien avant qu'il reparte pour Frías avec mon fils. Je suis reparti au dessus du bar Dubois, là où je vis, en ayant totalement oublié la pourriture Jäger qui croupit au Dock me rappelant juste que mon Leyers, mon acolyte va bien. Et cela va continuer sur cette voie. Je crois en ce garçon, je sais qu'il est assez fort et que l'on se reverra tous les deux je n'en doute pas.

Je suis sûr qu'à la fin de la guerre, il me racontera comment c'est là-bas, l'Espagne. Leyers va m'expliquer toutes les traditions de là-bas, comment on mange, comment on vit... Si la vie y est plus chaleureuse qu'en Allemagne, s'il s'est fait de nouveaux amis. Je lui raconterai pour ma part à quel point sa chère Eve est devenue une femme forte, comment elle arrive à se débrouiller seule face à tout le monde. Nous nous raconterons tout, j'en ai envie plus que tout au monde. Aller avec Leyers sur un banc en face de la plage et parler de tout et de rien pendant des heures, oubliant un court instant les atrocités de la guerre. Il ira bien. Il reviendra.

Petite photo de Marinus Strauss-Kahn se défoule sur le Capitaine Jäger, vengeance pour ses deux fils 😉

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Petite photo de Marinus Strauss-Kahn se défoule sur le Capitaine Jäger, vengeance pour ses deux fils 😉

Programmés pour tuerWhere stories live. Discover now