La Frontière ( Maxence )

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10 juillet 1944, Chamonix, Haute Savoie, France.

Les cadavres étaient là face à nous. Huit hommes en uniforme SS étalés de part et autre sur l'herbe sèche de l'été. Je suis resté face à eux, observant leur peau grisâtre tirée par la peur et la colère, les yeux vitreux et écarquillés, la bouche entrouverte comme pour hurler une dernière protestation.

《Où allons-nous mettre les corps ? me demande alors Adolf.
- On les a massacrés, comme ils nous ont massacré. Ils méritent de croupir là à la vue de tous les habitants de Chamonix, et de se faire dévorer par des vautours. 》

C'est nous qui avons fait ce carnage en passant la frontière suisse, après avoir été ravitaillés par une gentille vieille femme, on a mis nos pieds sur le sol français en Haute-Savoie dans ce petit village de Chamonix. On les a attrapé, par surprise, on leur a fait sauté les crânes, la jugulaire, leur instrument immonde entre les jambes. Avec Adolf nous avons créé une porcherie. Je sais que lui n'arrive pas tellement à se faire à l'idée qu'on devra tuer pour pouvoir survivre et se battre pour qui on est. Je ne regrette pas tout ce que j'ai accompli jusque là. Je tuerai tous les nazis s'il le faut pour pouvoir retourner dans mon pays, là où est ma place, en France. Je n'ai commis aucun crime, je me suis protégé et tout le monde devrait faire la même chose. Le nazisme, cette sale race tient encore le coup contre vents et marées elle est là.

Nous avons marché aux milieux des chalets, observant avec surprise que les soldats nazis se font de moins en moins nombreux. Les seuls rares que nous croisons ne nous demande même plus des papiers, ils se contentent de déambuler comme des fantômes sans dessein, l'âme vide. En passant à Chamonix, j'ai revu un Français solidaire, qui se réveille de l'horreur dans laquelle il a été plongé toutes ces années.

《Adolf ?
- Oui ?
- Honnêtement que penses-tu du sort de Freya ? Je veux dire toi tu connais bien plus ce monde que moi. Dois-je l'attendre ?
- Maxence... Ne l'attends pas... Je veux dire ce genre de lettre qu'elle t'avait écrite il y a quelques mois, c'est une lettre qui a été modifiée par Höss le chef d'Auschwitz. Et à Auschwitz on tue sans réfléchir. Je suis désolé mon vieux. 》

J'ai acquiescé la gorge serrée, le remerciant pour son honnêteté, sentant ma cage thoracique s'ouvrir en deux lentement. Peut-être est-ce ma faute ? Aurais-je dû être plus fort que ces stupides SS ?

《Maxence, ce n'est pas ta faute alors arrête d'accord ? On ne peut rien y faire, on a été aussi tous les deux pris dans cet engrenage. Tu as pensé à survivre, comme tout le monde l'aurait fait, commence à me rassurer Adolf sentant ma peine. Tu vas devoir apprendre à vivre sereinement, en paix avec toi-même sans jamais te retourner et regretter ce que tu aurais pu faire. Tu n'oublieras jamais Freya ça c'est une certitude, mais tu ne devras pas penser à elle avec cette pointe de nostalgie affreuse, tu ne devras pas te rappeler chaque jour qu'elle est partie. Tu devras te souvenir d'elle lorsqu'elle était vivante et pleine de vie, rappelle toi de ces sourires et de la chaleur de ces baisers. Toi qui croit en Dieu, dis toi qu'elle est partie comme un ange aux Cieux, et qu'elle te regarde à l'heure qu'il est. Ne te détruis pas pour ce que tu ne peux changer. 》

Je l'ai remercié d'une fausse esquisse de sourire, me retenant de craquer en larmes, sa mort me frappant de plein fouet. Adolf m'a pris par les épaules vers lui, en me rassurant. Il est bien gentil, mais j'ai perdu Freya, et j'ai l'impression avoir perdu la moitié de moi-même.
Nous nous sommes arrêtés sur une petite table en bois, manger un petit sandwich que la vieille femme en Suisse nous avait préparé.

《Tu comptes aller où en France ?
- Retourner à Saint Nazaire de Ladarez.
- Tu es sûr que tous les nazis sont partis ?
- Absolument pas. Mais j'ai promis à quelqu'un de revenir le plus tôt possible dès que j'en aurai l'occasion.
- D'accord. 》

Nous avons continué de manger sans un bruit, admirant simplement la beauté de ce monde montagnard malgré le bruit des détonations des bombes lointaines. La guerre est toujours là, et je ne pense pas qu'elle s'en aille un jour. Je pense que même si les combats cessent, les combats idéologiques ne cesseront jamais. Il faudra simplement apprendre à vivre avec.
À 10h30, Adolf a voulu qu'on reprenne la route, pour arriver le plus tôt possible à destination.

《Tu as la carte Adolf ?
- Oui oui pourquoi ?
- On va pas passer par les grandes routes principales. Si les nazis sont là, on sera vite foutus et renvoyés là où tu sais.
- D'accord je comprends. Combien de temps cela nous prendra tu penses ?
- Honnêtement quelques jours.
- Quelques jours ??
- Oui, mais tu sais mon ami, nous avons bien vécu pire que dormir à même le sol dans la nature ou de faire les gentils garçons auprès des vieilles femmes pour de la nourriture, même le froid ne nous atteint plus.
- C'est vrai oui. Bon allez on y va Max ! La prochaine pause sera dans la fin de l'après-midi.》

Je l'ai suivi, allant dans un petit bosquet pour atterrir ensuite sur des sentiers de randonnée méconnus, laissés à l'abandon par les nazis qui ont dû considérer que cette zone ne rapporterait rien à leur Grand Reich Allemand.

Une journée complète s'est écoulée sans que nous ayons fait une pause. Nous sommes arrivés la matinée suivante dans une grande cour remplie d'herbe bien grasse.

《Adolf ?
- Oui ?
- Tes frères ? Tu sais où ils sont aujourd'hui ?
- Et bien... Non. Je sais juste qu'Herman a été pris sous l'aile d'Himmler, mais Hans je n'en sais strictement rien.
- Je vois oui... Essaie d'envoyer une lettre aux endroits stratégiques, si les rumeurs sont vraies la guerre est bientôt terminée il faudra que tu saches où ils se trouvent.
- Tu as raison. Et toi c'est qui que tu veux revoir ?
- Eve Dechambord. C'est une Résistante comme nous.
- D'accord. Et ta famille ?
- Mon père a été tué par l'unité Strauss-Kahn, ma mère battue à mort par les troupes d'Himmler. Il ne me reste plus rien, plus que Eve et toi.
- Je suis désolé pour toi.
- Tes parents à toi ils sont devenus quoi ?
- Ils vont bien j'en suis certain. Bon allez posons nous avant de reprendre au plus tôt ! 》

J'ai acquiescé sans rien dire, me fabricant en quelques secondes un petit lit de fortune avec des branchages moelleux. Puis on s'est tous les deux jetés comme des pachas, les yeux dans le vide vers le Ciel, cherchant désespérément une réponse que Dieu pourrait nous fournir. Réfléchissant à si nous sommes digne de survivre à toute cette pagaille. Nous nous le devons. Pour tout ce qu'il s'est passé à Mauthausen.

Petit moment de complicité amicale entre Adolf et Maxence lorsqu'ils se sont fait recueillir chez une vieille femme

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Petit moment de complicité amicale entre Adolf et Maxence lorsqu'ils se sont fait recueillir chez une vieille femme.

Programmés pour tuerWhere stories live. Discover now