Témoigner ( Maxence )

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24 avril 1945, Paris, Ile-de-France, France.

Je suis parti depuis quelques jours dans le Nord du pays, tout seul comme un idiot. Je n'aime pas du tout partir aussi loin... Je me revois en 1943, fuyant désespérément la France dans l'espoir de trouver quelque chose de mieux. C'est là où j'ai rencontré Adolf mon meilleur ami et ma pauvre Freya...
Sauf que cette fois-ci, mon départ n'a pas le même sens, je pars rencontrer notre sauveur De Gaulle, je pars recevoir la médaille de l'Honneur pour mes exploits de Résistant.

Je ne sais pas trop comment ça va se passer là-bas, ni à quoi ça va ressembler, si je vais devoir jouer un double jeu, parler de ce qu'il faut parler sans heurter la société de si tristes vérités. La France se remet péniblement de ces quatre années d'occupation allemande. Que dois-je faire ? Si seulement Eve était là... elle saurait quoi faire et quoi dire.

Ma meilleure amie a donné naissance à une magnifique petite fille qui a douze jours exactement, Léonie Leyers. C'est une magnifique bébé potelé, un grand yeux bleus avec un éclat de vert émeraude. Cette petite a déjà une sacrée touffe de cheveux foncée pour son âge. La fille d'Hans Leyers et d'Eve Dechambord sera magnifique, une pure beauté bénie du Seigneur, qui prouvera que l'amour est plus fort que tout, qu'il n'a pas de frontières.
J'espère simplement que le petit frère d'Adolf rentrera d'Allemagne ou peu importe où il soit, il faut qu'il connaisse son enfant. La petite Léonie doit avoir son vrai père auprès d'elle.

Je suis arrivé, après moultes bifurcations à droite et à gauche, j'ai trouvé l'avenue des Champs Élysées. C'est magnifique, c'est vraiment très beaux. J'ai souri, mon sac à dos sur une épaule, avançant avec aisance dans cette grande avenue remplie de monde heureux, encadrée d'arbres verdoyant cachant les splendides façades haussmaniennes sculptées et travaillées. J'ai continué à marcher, admirant l'Arc de Triomphe, la flamme du Soldat inconnu, toutes les magnifiques sculptures de Paris.
Je ne me suis pas arrêté jusqu'à me surprendre très proche du Grand Palais, encadré de gardes et de touristes anglophones s'exaltant chaque cinq mètres parcourus. J'ai hésité, tournant dans un sens et dans l'autre, ne sachant vraiment pas où est-ce que je dois aller maintenant.

《 Hey !
- Excusez-moi vous êtes...
- Résistant. Comme vous vu la tête que vous faites, vous êtes paumé ?
- Légèrement oui. Vous savez où aller peut-être ?
- Bien sûr, suivez-moi.
- Merci beaucoup. Comment vous appelez-vous ?
- Charlie Heisenberg. Et vous ?
- Maxence Dubois, ai-je répondu en le suivant au milieu des couloirs remplis de luxure. 》

J'ai marché avec cet homme jusqu'à un grand jardin.
Mol cœur s'est emballé en voyant tout ce monde, hommes politiques, femmes bourgeoises, enfants, journalistes... Allons-nous vraiment recevoir une médaille ici ? Avec tout ce monde ? J'ai fermé les yeux, respirant un grand coup, essayant d'effacer toutes les images de Mauthausen refaisant tout à coup surface. Les wagons remplis à ras bord, les sélections, les cadavres toujours plus nombreux, le soleil brûlant...

《 Maxence vous allez bien ?
- Oui.
- Vous êtes allé dans les camps de la mort ?
- Pourquoi cette question ?
- Ça se voit. C'est tout. Vous êtes prêts à rencontrer le Général De Gaulle ? Votre président ?
- Oui, je le suis alors profitons en pour y aller. 》

Charlie m'a accompagné, à ma droite, descendant des petits escaliers. Certaines personnes se sont retournées sur notre passage, parlant et murmurant en nous observant de bas en haut et de haut en bas.
Je sens mon pouls dans mes veines, chacune d'entre elles, mon estomac serré, les poings comprimés, je ne me suis pas dégonflé, j'ai embarqué Heisenberg avec moi pour que l'on puisse se présenter aux gens de la haute société.

《 Bonjour Monsieur nous sommes...
- Vous venez montrer l'exemple à notre société de votre Résistance face au nazisme. C'est cela ?
- Oui, je suis Maxence Dubois.
- Et moi c'est Charlie Heisenberg.
- D'accord. Venez sur l'estrade.
- Pourquoi nous avoir choisi nous Monsieur ? a demandé mon collègue.
- Il nous fallait des témoignages vrais, sincères et intenses. Car peu importe qui je suis moi, je sais qui vous êtes. Vous Charlie Heisenberg, vous avez été un espion français juif dans les armées allemandes, vous avez aidé les soldats américains lors du débarquement de Normandie. Vous Maxence Dubois, vous avez passé à tabac des dizaines de nazis dans l'ombre de la forêt de l'Hérault, vous avez poignardé Hans Leyers, vous avez fait passer des réfugiés allemands par delà la Suisse, et le plus important, vous avez réussi à survivre et à vous échapper du camps Mauthausen en Allemagne pour revenir en France. C'est pour vos exploits que vous avez été choisi par le Général De Gaulle, ne vous posez pas trop de questions. 》

Nous avons acquiescé, Charlie m'a observé d'un œil compatissant, voyant très bien mon incapacité à réagir face à l'énumération de ces exploits. Oui nous avons été héroïques, nous avons combattu corps et âme face aux nazis, mais combien de vies se sont envolées ? Combien sont morts et brûlés dans les chambres à gaz ? Combien ne pourront-ils plus voir la lumière du jour, serrer leur femme dans leur bras, voir leur enfant grandir, sourire et vivre à nouveau en laissant le IIIème Reich derrière eux ? Combien, combien vont être oubliés et leur nom sali ? Pourquoi nous considérer à nous ? Pourquoi nous offrir ce rôle de messagers de l'horreur ?

Me voilà avec Heisenberg sur l'estrade, perchés tous les deux face aux micros, tous les deux mitraillés par les lumières violentes des journalistes.
Tout à coup, un silence assourdissant s'est abattu dans le grand jardin verdoyant. Un homme a séparé la foule en deux, comme Moïse séparant la Mer rouge. Je l'ai observé, les yeux ronds, me rendant compte petit à petit de qui s'approche de nous. C'est le Général De Gaulle, le Président de la République, le Chef des chefs, le sauveur de la France. Il est là. Face à nous, grand, habillé d'un costard dernière collection de l'armée française libre, avec un képi rouge et bleu. Son visage est calme, paisible, mais à la fois chaleureux et agréable. Charles De Gaulle s'est avancé vers nous sur l'estrade avec un large sourire, les yeux brillant d'une étincelle de fierté.

《 Bonjour Messieurs, nous salue-t-il. C'est un honneur de vous avoir auprès de nous aujourd'hui.
- C'est un honneur pour nous également Général De Gaulle, ai-je souri. 》

Après des poignées de mains avec mon idole depuis cinq ans maintenant, Charlie et moi sommes restés de marbre face au discours poignant du général De Gaulle. Un beau discours sur le patriotisme, l'amour, la tolérance, la liberté d'écrire et de penser. Des tonnes d'applaudissements ont suivi, laissant place au témoignage poignant de l'espion Heisenberg. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai rien écouté à ce qu'il a dit, les yeux écarquillés, figés sur un point quelconque dans l'horizon.
Le Général est venu vers moi, m'incitant à prendre la parole. Je sursaute à tant de proximité, mais je vais tranquillement face au micro.

《 Bonjour. Je ne sais pas trop ce que je suis censé vous dire aujourd'hui, alors je vais commencer par vous dire comment et pourquoi je suis arrivé jusqu'ici. Tout a commencé en 1940, j'ai fait partie des premiers à voir l'appel à la Résistance, et j'ai été un des premiers avec une amie à suivre le mouvement. Petit à petit, nous avons monté à nous deux notre propre réseau de Résistance, démantelé et reconstruit à plusieurs reprises. Je ne pensais pas que j'en arriverai là, au Palais de l'Élysées, alors que j'ai toujours été qu'un petit fils de paysan, qui est devenu indépendant en chauffant son village en vendant du bois. C'est vrai que c'est vraiment banal dit comme ça ! Mais c'est comme ça que mon histoire a commencé, c'est comme ça que je me suis fait chassé comme un chien par l'unité Strauss-Kahn, voyant encore en coin de l'œil le cadavre de mon père violemment abattu d'une balle dans le crâne. J'ai fui à travers la diagonale du vide, pour aller en Suisse. J'ai trouvé refuge seul dans un chalet sur la lisière de la frontière avec l'Allemagne, et lorsque j'ai vu des cadavres le long de cette même frontière, c'est là que j'ai commencé à me rendre compte de la gravité de la situation. J'ai commencé à faire passer les gens que je voyais courir depuis les Alpes bavaroises, je les ai aidés mais je n'étais pas seul. J'étais avec un allemand, oui un allemand, qui a été mon meilleur ami et mon acolyte pendant toutes ces années de galère. Je ne vais pas m'éterniser sur ma vie, sur mes sombres mois à Mauthausen ni comment j'ai su m'échapper avec mon ami allemand. Si j'ai tenu jusque là, ce n'est pas grâce à la haine d'autrui comme Le prétendaient les nazis, mais grâce à l'amour de l'autre. Si mon ami allemand n'aurait pas été à mes côtés malgré la haine que vous vouez à ce peuple, je peux vous dire moi Maxence Dubois, qu'il reste des gens bons en Allemagne, qui ne sont pas rattachés au Reich et à Hitler.
Je reste persuadé que nous, la France, les Alliés, il faut arriver à faire la différence entre nazis et généralisation d'une majorité d'individus cruels. L'humanité doit voir plus loin que des frontières ou des idées, on doit apprendre à voir plus loin que nos antécédents. On doit apprendre à ne pas juger tant que nous ne connaissons pas l'entièreté de l'histoire. On ne peut plus juger en fonction d'une nationalité ou d'une ethnie, on doit aller fouiller l'âme et accepter chacun, en munissant les traîtres à la République et à la France. Au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, je vous en conjure... Aimez votre prochain et ne vous arrêtez pas aux frontières. 》

Le Général De Gaulle avec les marines de la France libre en 1945

Programmés pour tuerWhere stories live. Discover now