Programmés pour tuer

La Déroute ( Eve )

14 décembre 1942, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Le pire des pires cauchemars est en train de se réaliser sous nos yeux à tous.

Mon cher village, dans lequel j'ai grandi et depuis peu, je me suis efforcée de préserver le libre arbitre des Saints Nazariens en postant des affiches contre les nazis mais rien n'y a fait. Les Allemands sont là, ils vivent chez nous, comme si c'étaient chez eux.
Ils sont partout, envahissant les moindres recoins de la France comme des parasites. Ils sont là, installés avec leur énorme cigares sur la place, au bar restaurant des Dubois. Les nazis sont un fléau qu'il faut éradiquer.
Pour le moment, Papi et moi avons eu de la chance. Aucun des soldats allemands ne sont venus habiter chez nous, j'espère qu'il n'y aura personne. Je ne sais pas si je serai capable d'héberger ces hommes, de jouer le double jeu sans me faire prendre. Les cerbères hitlériens ont la réputation d'infliger de violentes punitions aux résistants, Juifs ou opposants. Il ne faut pas leur céder. Vivre libre ou mourir.
D'ailleurs, mon pauvre grand-père est très affecté par l'arrivée de ces monstres au village. Lui aussi, il vaut son pire cauchemar revenir sans cesse : vaincre l'Allemagne. Léon Dechambord est un homme coriace même sans ses jambes, il me dit souvent qu'il n'hésiterait pas à cacher des Juifs dans la cave. Je ferai pareil, j'irai dans la Lande à la sortie du village ou dans les maquis, totalement à l'opposé.

Une routine déroutante s'est installée depuis quelques temps. À chaque fois que nous voulons sortir avec Maxence, des SS demandent nos papiers, il en va de même pour rentrer chez soi le soir, les couvre feu, la peur de commettre un faux pas... Nous vivons avec ce poids sur les épaules depuis le 24 novembre, mais le pire dans tout ceci c'est que quasiment aucune personne ne se rallie à Maxence et moi. Ils subissent tous les moindres volontés des nazis, comme si ils n'avaient jamais vécu librement. À croire qu'ils ont attendu l'arrivée des nazis.
La nation puissante que j'ai connu n'est plus ce qu'elle était...

12h30.
Je suis montée avec mon grand-père à l'étage pour manger tous les deux. Je n'ose pas le laisser tout seul depuis que l'Ennemi est au village. J'imagine toujours le pire lorsque je vais chercher le pain, qu'un jour, au moindre faux pas la Gestapo prendra mon grand-père...

《 Qu'est-ce que tu m'as fait de beau ma petite Eve ?
- Rien de magnifique Papi, les allemands prennent quasiment tout... Il n'y aura que du pain, un peu de beurre avec de la charcuterie.
- Tant que ces charognards restent loin de nous et du Petit Dubois, je m'en moque de ce que je mange.
- Papi tu es sur que ça va ? Tu me sembles fatiguer.
- Mais non allez mange Eve, tu ne sais pas qui te mangera, rigole-t-il. 》

C'était une phrase qu'il me disait souvent étant petite.

Nous avons donc englouti notre repas à vive allure tout en le savourant, profitant de la moindre nourriture depuis que les nazis prennent les trois quarts pour eux.
Chaque repas se fait une bénédiction du Seigneur, il faut vraiment en profiter chaque fois.

《 Tu veux quelque chose d'autre Papi ?
- Non non ma puce, insiste-t-il en s'allongeant, j'ai largement trop mangé.
- D'accord.
- Maintenant file, va prendre l'air avec des amis, et vis un peu pour toi. Je ne risque pas d'aller bien loin.
- Papi, je vais pas aller...
- Si si ma Eve tu y vas ! Je veux te savoir loin de moi. 》

Le cœur serré, je me suis levé et ai posé une grande couverture sur mon grand-père. Je n'aime pas le voir aussi dévasté par la vie, et il n'aime pas que je le vois comme ça...
J'ai descendu les escaliers lentement, écoutant la respiration assoupie et singulière de Léon.
Devrais-je sortir ?
Je me suis souvenue du message de Maxence qu'il m'a laissé il y a quelques jours. Nous devons aujourd'hui aller placer de l'essence sur les routes emprunter par les nazis, puis en cachette, au moment pile où ces abrutis passeront, on jettera un saut d'eau à travers les fourets de la Route de Béziers.