Chapitre 22 - Lafayette Wentworth

20 6 15
                                    

Barnsley, 26 Mai.

De lourds bruits de pas le réveillèrent. L'obscurité et l'exiguïté du milieu dans lequel il se situait le plaçaient dans un état d'alerte très rapidement. Il avait chaud et la sueur perlait à son front. D'après son expérience, il reconnut la respiration rauque d'un loup. Alléché par son odeur, le prédateur se tenait juste devant sa prison. À tâtons dans le noir, sa main gauche chercha son arbalète. Rassuré de trouver l'arme non loin, il se mit en quête des carreaux qu'il repéra également à ses côtés.

En plus des bruits de pas lourds et traînants, il percevait des gémissements. Comme une longue plainte douloureuse et rauque. Avec prudence et méthode, Lafe arma un carreau, pointa l'arbalète devant lui et prit le risque de tapoter contre la paroi de métal face à lui, du bout du pied.

Un grognement sourd lui répondit. Le chasseur ferma les yeux, quelques secondes et se tassa du mieux qu'il le put dans le fond du meuble. L'armoire bascula violemment alors que l'énorme patte griffue arracha une partie de la porte dans un bruit de ferraille fracassant. À peine remis de la secousse, Lafayette tira sur son agresseur un poil à l'aveugle. La pointe en argent vint se ficher dans l'épaule du monstre qui semblait déjà bien amoché.

Les regards des deux êtres se croisèrent et chacun y vit son propre reflet, animé par la peur de l'autre. Le chasseur aux yeux vairons hésita quelques secondes, et le lycan prit la fuite après avoir arraché le carreau de sa chair dans un glapissement douloureux.

Les battements de cœur du jeune homme s'accélérèrent et il lui fallut encore quelques minutes pour retrouver son sang-froid. Ce Lycan était borgne ; le vert de son iris valide l'avait déstabilisé.

Plus calme, il s'extirpa de sa prison de métal et s'y pencha de nouveau pour y récupérer son carquois. C'est à ce moment qu'il trouva une note au fond de l'armoire.

Lafe y reconnut sans peine l'écriture de son cousin Isaac. Tout y était détaillé, la lycanthropie certaine de John et Lottie Lovelace et l'attaque très probable du manoir par leur meute ce jour. De brèves excuses de l'aîné de la branche principale, puis une requête, inscrite en capitale : « SURVIS ! »

Le jeune homme serra le poing autour de la lettre, rageur. Le silence pesant tout autour de lui ne le laissait pas dupe : il était trop tard et tout était déjà terminé. Restait à connaître l'issue de cet affrontement. La présence de ce lycan dans la bâtisse n'était qu'une preuve supplémentaire qu'il refusa de voir.

Lafe gardait espoir. Il ne pouvait pas être l'unique survivant. Peut-être les Wentworth avaient eu à battre en retraite le temps de recouvrer des forces ? D'appeler du renfort ?

Incertain, le chasseur releva les yeux vers les moniteurs de la salle de contrôle vers lesquels il n'avait osé lancer un regard jusqu'alors.

Ce qu'il y vit ne le rassura guère.

Les dépouilles de nombreux lycans gisaient, inertes dans les couloirs maculés d'hémoglobine. Il n'était pas particulièrement sensible à la vue du sang, surtout par écran interposé... Et pourtant, lorsque ce décor de film d'horreur s'invitait sous votre toit, ou sous celui de vos proches, le sentiment n'était plus tout à fait le même. La tension dans ses muscles montait, il se sentait à la fois figé et tremblotant. Les bouffées de chaleur bataillaient avec les suées froides. Ses sens étaient confus, presque autant que son esprit.

Chaque fois que Lafayette observait un nouvel écran, les scènes qu'il y découvrait témoignaient de la violence des affrontements. Le jeune homme n'aperçut pourtant aucun mouvement au travers des nombreux couloirs de la demeure principale des Wentworth.

Il perçut ce qu'il restait d'une silhouette humaine dans le corridor des bonnes. Lafe déglutit bruyamment et reconnut le tablier des employées. Les tremblements dans ses mains s'accentuèrent. Il en avait assez vu au travers de ces fichus écrans. Lafe était résolu à se rendre lui-même sur place. Le massacre total de sa famille lui semblait inconcevable. Quelque part dans la demeure, il y avait des survivants : il en était persuadé !

Lafayette quitta la pièce à pas feutrés bien qu'il fut pratiquement certain d'errer seul, ou presque, dans les allées du château. Ses pas ralentissaient malgré lui à chaque angle de couloir, ses yeux appréhendaient la vue des corps. Ses sens étaient sur le qui-vive, en particulier l'ouïe qui cherchait désespérément dans le silence assourdissant de la bâtisse, une voix familière.

L'odeur du sang et de la mort s'intensifiait à mesure qu'il évoluait vers les régions de la demeure plus couramment utilisées. Les dépouilles de loup-garou s'enchaînaient, par petit groupe de trois ou quatre cadavres. Effondrés là, la gueule béante et la douleur imprimées sur leurs faces canines.

Le moindre craquement, le moindre sifflement du vent dans la bâtisse le faisait sursauter. Le décor qui défilait sous ses yeux avalait goulûment l'espoir qu'il s'était efforcé de conserver. L'idée faisait son chemin : il était seul dans cette vieille demeure qui n'abritait plus que la mort.

Était-ce cela que ressentait un soldat se réveillant à la fin d'une bataille ?

Lafe secoua la tête. Il était trop tôt pour imaginer le pire. Pas de corps, pas de mort. C'était l'un des mantras de son père qu'il s'évertuait à lui répéter : « Je ne crois que ce que je vois ».

Au prix d'un effort dont il ne se serait jamais cru capable, Lafayette s'avança vers les deux corps qu'il ne connaissait que trop bien. Là, au milieu du couloir, gisaient son oncle Richard... et son père.

Ses jambes ne parvinrent plus à le porter. Il tomba à genou auprès d'eux. Richard avait une expression paisible en dépit de la violence de la blessure qui lui avait arraché la vie. Son père, lui, semblait observer le plafond, l'air médusé.

Les larmes roulaient silencieusement sur les joues pâles du jeune homme qui se sentait en cet instant petit garçon. Il n'arrivait pas à crier, difficilement à laisser s'échapper les sanglots qui s'accumulaient douloureusement dans sa gorge.

D'un geste tendre, il ferma les yeux d'Harold et resta ainsi un moment, comme pour essayer de retenir près de lui ce qui pouvait subsister de leur présence. Lafe le sentit, une partie de lui venait de s'envoler avec eux.

Isaac l'avait privé de sa bataille pour l'épargner ; Lafayette ne pouvait s'empêcher de penser que la fin aurait pu être différente, s'il avait été présent.


------------------------------------------


Si certains se posaient la question, oui, Lafe est bien vivant ;) nous le retrouvons maintenant ! Est-que c'est signe d'espoir pour nos amis prisonniers ? :o

Le chapitre étant court, il est probable qu'un deuxième chapitre arrive dans la journée :3


bécaux !

Loranee.

L'Héritage du Chasseur : Le Loup parmi nous.Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang