Chapitre 8 - Camille

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Camille

      

Marc.

Je prie pour qu'il parle enfin. Qu'il me dise quelque chose. Que son souffle saccadé à l'autre bout de la ligne se calme et qu'il m'explique.

Mais rien ne se passe. Quelque chose ne va pas. Quelque chose d'important. Un silence pesant s'installe entre nous. Je ferme les yeux. Je me transporte dans des souvenirs heureux. Au loin, j'aperçois son visage. Ses yeux marron me fixent avec bonheur. Il m'attend, prêt à m'accueillir dans ses bras ouverts et rassurants.

Je me mets à détester chaque seconde qui passe comme si chacune d'entre elles creusait encore plus le fossé qui s'agrandit entre nous.

Et s'il était arrivé quelque chose de grave ? Jusqu'à présent, je n'avais jamais songé à cette éventualité. Me sentant impuissante par les milliers de kilomètres qui nous séparent, je commence à suffoquer. Ce ne serait pas la première fois qu'un journaliste soit pris en otage au Mexique.

Cette attente est insupportable. Même si je crains le pire, il faut que je sache. Chaque seconde écoulée et chaque silence qui se prolonge vont à l'encontre du respect mutuel que nous nous sommes toujours accordé. La base de notre relation.

- Ça ne va pas ? je parviens à articuler avec peine.

- Pas vraiment.

Il hésite un court instant avant de poursuivre. Mais cela me paraît durer une éternité.

- Enfin, si.

Il a beau changer son fusil d'épaule, je le connais. Il a un problème. Suffisamment important pour lui faire perdre sa joie de vivre. Peut-être lui a-t-on refusé son retour en France ? Lui aurait-on imposé un nouveau reportage ?

- Tu rentres bien la semaine prochaine ?

J'ai du mal à me remémorer le tournant qu'est en train de prendre ma vie professionnelle. Marc risque de revenir et je ne serai même pas là pour l'accueillir. L'aurait-il appris ? Non, impossible. Jusqu'à présent - je le sais directement par Madame André -, aucune information n'a encore filtré sur le sujet. N'empêche, il va bien falloir que je lui annonce que je vais partir. Comment va-t-il réagir ? Va-t-il accepter de me rejoindre durant ses deux semaines de congé ? Je ne supporterai pas d'être éloignée de lui quelques jours de plus.

Surtout pas avec Jared Tom dans les parages.

- J'ai eu un poste, Camille.

Mon enthousiasme ne se fait pas attendre.

- C'est génial !

Cela fait des mois qu'il cherche à trouver un emploi avec davantage de stabilité. Cent fois, il m'a parlé du jour où il reviendrait sur Paris et ne me quitterait plus. S'il doit commencer dès son retour, les huit semaines à venir ne seront qu'une goutte d'eau de l'océan de solitude que son travail nous impose depuis onze mois. Et de mon stage à venir.

- Il s'agit d'une aubaine que je ne peux pas laisser passer.

Je sais. Je comprends. Durant tous les moments que je serai forcée de passer avec Jared, Marc ne quittera pas mes pensées. Mieux encore. Il m'attendra. Chez nous. A Paris. Dans notre appartement. Celui que j'investirai dès mon retour de tournée. Pourquoi semble-t-il si peu enthousiaste ? Il patiente depuis si longtemps. Son attente est devenue la mienne. Je l'écoute, incrédule.

- A Mexico, Camille. Le poste est à Mexico.

Mon cœur se met à cogner fort dans ma poitrine. Mexico ? Je n'arrive pas y croire. Ma tête tourne et la nausée me gagne progressivement. Pourquoi a-t-il accepté sans même en parler avec moi ?

- Comment va-t-on faire ?

L'idée de rester encore éloignée de lui me déchire de l'intérieur.

- Je vais très bien m'en sortir, poursuit-il d'une voix triste. Et, toi-aussi.

Il marque une nouvelle pause qui me paraît durer une éternité. Une immense détresse m'envahit soudain.

- Et nous ? Tu as pensé à nous ? je demande au bord des larmes.

Il ne peut pas me laisser. Nous laisser. Non, ce n'est pas possible. Quand nous verrons-nous ? Une fois par semestre? Par trimestre ? Il sait qu'une fois que j'aurai un emploi stable, je ne pourrai pas faire régulièrement le trajet.

- J'ai besoin de temps, finit-il par avouer.

- De temps ?

De temps ? Le temps de quoi ? De me laisser ? D'être sans moi ? De travailler ? De trouver ses marques dans un pays étranger ? Un appartement que nous étions censés dénicher et aménager ensemble ?

- De vivre seul, lâche-t-il dans un souffle entrecoupé.

- Mais, tu vis déjà seul la plupart du temps ! je surenchéris en haussant le ton.

- Non, seul. Vraiment, seul. Sans toi. Loin de toi, je veux dire, balbutie-t-il avec peine.

- Loin de moi ? je demande, la voix tremblante.

Je sens l'embouchure d'un ruisseau se créer au fond de mes yeux. J'ai mal. Terriblement mal. J'aimerais hurler, mais aucun son ne sort de ma bouche. Une douleur, dont l'existence m'était insoupçonnable jusqu'alors, se met à me broyer de l'intérieur.

- J'ai besoin de faire le point. Sur moi, sur nous, sur ma vie. Sur tout.

- Mais..., je balbutie avec peine.

- Je suis sincèrement désolé.

Ne me laissant pas la possibilité de lui répondre, il raccroche et sort de ma vie aussi discrètement qu'il y est entré. Sans bruit.

Il aurait pu me donner plusieurs bonnes raisons de me laisser seule. Il aurait pu me reprocher d'être trop sûre de moi, manquant d'humour, démesurément casanière, un brin trop sérieuse, excessivement scotchée à mon ordinateur, abusivement carriériste et bien d'autres choses encore. Mais, pas ça... Pas un congé pour ce que j'imaginais être ma vie. Pas cette façon de me parler en me faisant juste comprendre que je ne représente pas celle qu'il attendait. Que je ne suis probablement pas assez bien pour partager son existence et ses rêves.

Presque mécaniquement, je monte dans ma chambre et me mets à faire mes bagages. A part ce maudit stage sur lequel je refuse de m'appesantir, il ne me reste rien. Comment ai-je pu accorder une quelconque importance à ce Jared Tom ? D'un geste perdu, je jette trois jeans et trois chemisiers blancs dans ma valise. J'y joins quelques culottes en coton et leurs soutien-gorges assortis. Ma trousse de maquillage se retrouve aussi à l'intérieur. Je choisis d'y ajouter quelques numéros d' « Echo-politique » afin de ne pas perdre complètement le fil de mon existence.

Je titube alors jusqu'à mon lit, l'estomac retourné. Il faut que je dorme, que mon cerveau parvienne à se déconnecter. Demain sera un autre jour. Un nouveau départ que je n'ai jamais autant craint maintenant que je suis démesurément seule. Je sais que je ne devrais pas pleurer. Je dois être forte. Mais je n'y parviens pas. Je sens un océan de tristesse m'engloutir. Les quelques premières larmes, qui coulent doucement, se transforment rapidement en un flot continu de sanglots incontrôlables. Afin que mes parents ne m'entendent pas, je me couche à plat ventre et enfouis ma tête dans l'oreiller. Même si, à cet instant précis, j'ai besoin d'eux plus que jamais, je ne peux leur exposer mon chagrin. Ils risqueraient de me rendre responsable de mon désespoir. Et là, je toucherais véritablement le fond.

Up and downWhere stories live. Discover now