Chapitre 3 - Camille

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Camille


Durant les deux heures qui suivent, je fais tout mon possible pour ne pas regarder dans sa direction.

Soit, je tente de m'attarder sur les musiciens ; soit, je fixe, à tour de rôle, les deux écrans géants. Mais, malgré mes efforts, mes yeux sont comme aimantés sur cet homme. J'ai oublié ma mère et ses problèmes dont le pire d'entre eux. Lui. Ce n'est plus l'ennemi que je regarde, mais l'homme. Cet homme. Lui. D'ici deux heures, je sais que tout sera oublié et rangé dans une partie de mon cerveau que je n'ouvrirai plus jamais. La ligne rouge m'apparaîtra à nouveau comme une nécessité absolue. Vitale. Irrévocable.

J'oublierai donc sa tignasse plutôt sexy, qui encadre son beau visage, son corps svelte dansant parfaitement au rythme de la musique, sa voix profonde qui me fait ressentir des choses inavouables et sa bouche s'approchant sensuellement du micro. Je n'y penserai plus. Plus jamais. Jared Tom tombera dans les oubliettes des choses vécues dont je ne suis pas fière.

J'éviterai également de me rappeler la façon déconcertante qu'il a de me fixer à la fin de chaque morceau. Il ne sait pas qui je suis. Je le sais. Je le sens. C'est inscrit au fond de mes tripes. Une sorte d'évidence. Quelque chose qui me paraît aussi naturel qu'inexplicable. Pourtant, toutes les filles doivent penser qu'il les fixe avec intérêt. Qu'elles sont uniques à ses yeux.

Un nouveau morceau se termine. Nouveau regard appuyé. Cette fois-ci, j'ai même l'impression qu'il fronce bizarrement les yeux quand il me toise. Il me reconnaît. Non. Impossible. Il faut que je me calme en toute urgence. Que je chasse cette peur qui se mêle à d'agréables sensations naissant dans mon bas-ventre. Que je pense à ma vie. Ma vraie vie. Dès que je serai de retour chez moi, je ne me focaliserai plus que sur Marc. Dès demain matin, je l'appellerai pour qu'il me raconte sa soirée et je reprendrai le cours normal de mon existence. Ressembler à toutes ces fans en pleine adoration, ce n'est pas moi. Et ça ne le sera jamais.

Mais après avoir passé deux heures à regarder cette scène de près, je peux comprendre que l'on puisse avoir ce sentiment. J'ai beau avoir essayé de penser à autre chose, de regarder dans toutes les directions qui se trouvent aux antipodes de la scène, d'être allée trois fois aux toilettes, de nous avoir cherché à Justine et moi quatre cocas, j'en reviens toujours au même point. Lui. C'est à la fois profondément déstabilisant et intensément grisant. J'ai l'impression d'entrer dans l'écran de cinéma et de participer au film que je suis en train de regarder.

Lorsqu'il quitte enfin la scène, je n'arrive pas à détacher mes yeux de ses cheveux en bataille, de sa nuque bronzée, de son tee-shirt humide de transpiration qui épouse à merveille les muscles de son dos et de ses fesses. Je n'arrive toujours pas à regarder ailleurs. Je suis comme subjuguée. Mon bas-ventre, qui se contracte encore davantage, me rappelle combien ça me manque de ne plus être touchée, désirée, aimée. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Marc ne m'a jamais autant manqué qu'à cet instant-là. Le public se met à crier « Jared » de plus en plus fort. La voix de Justine me transperce les tympans.

- Il va revenir ! hurle-t-elle à mon intention.

Sur l'instant et transportée par la folie qui anime la salle, je me mets aussi à espérer son retour. Qu'est-il en train de m'arriver ? Je perds tout contrôle. Je n'en suis pas à m'époumoner pour le supplier de réapparaître, mais je sens que je serais déçue s'il ne le faisait pas. J'essaie de reprendre mes esprits, néanmoins je n'y parviens pas. Il faut qu'il revienne. Une dernière fois. La soirée ne peut pas se finir comme ça.

- Jared, Jared, Jared, Jared, Jared...

Les cris ne faiblissent pas. Mais les minutes s'étirent et il n'a encore fait aucune apparition.

Up and downWhere stories live. Discover now