Ithil - 1

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      La Terre nous parait de plus en plus petite. Nous allons tellement vite que nous avons l'impression de regarder un travelling arrière de fin de film. Nous mesurons qu'il ne nous faudra pas une journée pour atteindre la lune. Notre monde vu d'ici est vraiment minuscule. Il me paraît désormais aussi grand qu'une bille que je pourrais pousser du bout du doigt, Si je pouvais le faire, ça serait la fin de l'humanité. Notre survie sur ce rocher se déplaçant dans le vide spatial est précaire. Je prends conscience de la fragilité de notre monde. Nous n'avons qu'une planète et aucune de rechange. Chaque terrien devrait faire un voyage en orbite pour se forger une conscience. La protection de notre unique habitat à tous devrait être une priorité. Au sol, nous nous rendons moins compte. Les distances nous voilent la face. Quels impacts sur nos vies pourrait bien avoir une catastrophes nucléaire qui se déroule de l'autre côté de la Terre ? Cette question prend tout son sens vu de l'espace. L'être humain doit comprendre qu'il n'y a pas de frontières, pas de pays, pas de races. Nous sommes tous terriens. Tous liés les uns aux autres sur une dérisoire embarcation, naviguant dans le grand univers.

En même temps, quitter ma planète me donne une sensation étrange de bien-être. J'ai l'impression de fuir les multiples dangers qui m'environnent tous les jours sur Terre : la pollution, les guerres, la violence, la vanité, l'égoïsme, l'injustice, la possessivité, la cupidité, le profit à tout prix. Je sors du système, je m'en détache et je peux avoir un regard très critique de la race humaine, mon peuple. Vu d'ici nous sommes un tout et je trouve incohérent que certaines personnes vivent mieux que d'autres. L'altruisme devrait être une vertu universelle. Malheureusement, la mondialisation a créé le schéma inverse où l'individualisme est devenu la norme. Il faut posséder toujours plus et vouloir ce que l'autre a déjà. La loi du plus fort, et du plus riche, prévaut sur les lois de protection de l'environnement. Internet a gonflé à bloc l'égo de tout le monde, de l'homme de la rue à l'homme politique. Il faut se montrer pour être vu par des milliers de gens que l'on ne connait pas. On se vend comme une marchandise et on ne produit rien, seul l'image compte. C'est un monde où le futile est plus valorisé que l'utile. Egoïstes. Il n'y a plus de place pour l'autre : sa famille, ses voisins, ses collègues, les habitants d'autres continents les animaux, les mers, les océans, la Terre. Bienvenue en idiocratie ! Dans le vide sidéral si effrayant autour de notre vaisseau, face à cette sphère si fragile, je prends également conscience du vide de mon existence. Si je reviens vivant, je me promets de sensibiliser les hommes à la sauvegarde de notre mère à tous. Une larme coule sur ma joue. Sophie le remarque.

- Pourquoi pleures-tu ? Tu crois que nous ne rentrerons jamais chez nous ?

- Nous reviendrons ensemble, j'en suis persuadé. Et à ce moment, je ferais tout pour mériter d'y vivre.

Je vois que ma réponse la laisse perplexe. Je lui révélerais les détails de mes réflexions plus tard. Pour l'instant, nous devons nous concentrer sur notre mission. A savoir, atterrir sur la Lune, trouver l'entrée d'une cité dans un désert de poussière grise pour découvrir ses secrets et avoir des réponses sur le pourquoi de son existence. Tout ça en restant en vie. On peut dire que nous avons un programme chargé. Mon regard quitte la Terre et se dirige vers le disque argenté de notre destination.

Il n'y a que quelques privilégiés qui ont eu la chance de voir notre satellite de si prêt et encore moins à s'être posé dessus. Nous sommes assez proches pour voir les cratères se dessiner à sa surface. Ce qui nous apparaissait comme des taches planes devient des reliefs et des vallées. La Lune devient gigantesque et je mesure à quel point je suis ridiculement petit au sein de l'univers. Ce que je connaissais jusqu'à aujourd'hui, un cercle grand comme mon pouce depuis la Terre, est maintenant d'une taille démesurée. C'est vertigineux. La vision régulière que j'avais de cette sphère est complètement bouleversée. Le changement de perspective est trop brutal. Tous mes sens sont en émoi.

- Extraordinaire. Ça fait à peine plus de trois heures que nous avons décollées, annonce Yoshi.

Seulement. Je m'attendais à ce que nous soyons plaqués au fauteuil à cause de l'incroyable vitesse à laquelle nous voyageons. Il n'en est rien. De tout le trajet, nous n'avons jamais eu la sensation d'être écrasé par je ne sais quel phénomène physique auquel je ne comprends rien. Au contraire, je me dis que nos scaphandres ne nous servent à rien et que le Faucon Millénium a les mêmes particularités que dans les films. Malgré l'envie que j'ai d'enlever ma combinaison, je me retiens et je la garde. On a eu tellement d'emmerdes depuis le début de cette histoire que je préfère jouer la carte de la sécurité.

- C'est splendide ! Et immense, s'extasie Sophie.

Je la rejoins. Vu d'ici la lune est tout simplement un diamant éclatant.

- Je ne vois toujours pas où nous allons atterrir. Le Faucon n'a pas l'air de nous mener du côté obscur de la Lune et il n'y a aucun signe de civilisations de ce côté. Elle a été scrutée par des milliers de terriens depuis des années. Je pense que s'il y avait eu des bâtiments, ils auraient déjà été repérés.

- Pourtant le vaisseau suit une trajectoire bien précise et semble se diriger vers ce cratère, me répond Yoshi. Les cités que nous avons déjà trouvées étaient cachées : sous terre, sous l'eau, dans un volcan. Il doit en être de même ici. Nous ne sommes pas en train de ralentir ?

Nous nous rapprochons du sol lunaire. Ici tout est gris avec le noir profond de l'espace en toile de fond. Ce paysage désolé est stupéfiant et redoutable. Je regrette les couleurs chatoyantes de notre planète bleue. Plus que quelques mètres avant de se poser dans cette poussière millénaire.

Il n'y a rien des kilomètres à la ronde. C'est peu encourageant. Nous descendons toujours et notre destination est un cratère creusé par des météorites ayant percutés notre satellite naturel il y a des milliards d'années. Il va surement falloir sortir sur cet astre sans atmosphère sans réellement savoir où chercher. Combien de temps mettrons-nous à trouver l'entrée de la quatrième bibliothèque ? J'ai oublié de demander à Takeshi la durée de nos réserves d'oxygène. Est-ce renouvelable ? J'étais tellement pris dans l'excitation du départ que j'en ai oublié les questions essentielles, vitales. En voyant le sol se rapproché, j'en viens à me dire que j'ai peut-être fait une belle connerie en venant ici. Il nous aurait au moins fallu un minimum de préparation. Il faut vraiment être con pour s'improviser astronaute. Il est malheureusement trop tard pour faire marche arrière. Je dois assumer les conséquences de mon manque de jugeote. Des hommes se sont préparés des années pour un tel voyage et moi j'y suis allé sur un coup de tête parce que le moyen de transport avait l'air fun. Je suis le tout premier touriste lunaire de l'humanité.

Le cratère est très proche désormais, nous allons nous y enfoncer. La peur engourdie mes muscles. Je vais probablement faire une crise cardiaque avant de toucher le sol et ce sera fini. Je....

....

- Incroyable !

Le Geek Ultime (1. Genesis)Where stories live. Discover now