Le Geek Ultime (1. Genesis)

Yonaguni - 10

      En remontant le long de la brèche, je me demande si le plafond s'est vraiment brisé suite à l'explosion. Il y a des stries régulières sur la paroi que nous logeons. Très peu probable que ce soit naturel. Cela ne peut être du qu'à l'utilisation d'une machine, probablement une foreuse. Je suis ébahi par l'épaisseur du bâtiment. Aucun engin terrien n'est capable de percer un trou aussi profond sous l'océan. J'en viens à penser que nous avons été sauvés par une civilisation évolué extra-terrestre. Probablement, la même qui a créé cette cité. A la sortie du cylindre, un groupe de plongeurs nous attend dans les eaux bleues de Yunaguni. Je peux dire au revoir à ma théorie farfelue et commencer à me demander qui a les moyens technique et financier de nous sortir de ce tombeau. Je commence déjà à avoir une petite idée sur l'identité de notre bienveillant sauveur : le seul à savoir où nous étions. Pour une fois, je ne vais pas me plaindre d'avoir été géo localisé. Par contre, je trouve que la méthode de sauvetage laisse à désirer.

Les plongeurs nous font signe de nous diriger vers leur bateau. Forcement le notre n'est plus là. Indy nous l'a emprunté sans espoir de retour. Adieu, bon débarras. Je regarde la cité une dernière fois et remarque le système de forage qui nous a ouvert le passage. Cette machine est immense. Comment a-t'elle pu être transporté ici aussi vite ?

Enfin, je peux respirer de l'air frais. Je sens le vent sur mon visage. Je ne pensais pas que ça puisse être si agréable. Le soleil est bas dans le ciel. Nous avons donc passé la journée sous le niveau de la mer. Des couleurs rouge et ocre habillent la falaise jouxtant le spot de plongé. Après les ombres vertes de la crypte aux monstres, le spectacle est tout simplement grandiose. Ça ne m'est jamais arrivé de me sentir aussi vivant. J'ai envie de croquer la vie à pleine dent, loin de toute cette histoire. Faire toutes les choses que je n'ai jamais prises le temps de faire à force d'être un spécialiste de le procrastination et surtout découvrir le monde autrement qu'en mode « chasse au trésor ».

On nous aide à monter sur le bateau. Yoshi est aussitôt pris en charge par une équipe médicale tout de blanc vêtu. On nous fourni des peignoirs de bain avec les initiales TK cousu au fil d'or au niveau du cœur. Le luxe extravagant de ce Yacht est la carte de visite de notre sauveur. Un jeune homme tout en exubérance qui appellerait son navire d'un nom faisant référence à un film fantastique : « Nebuchadnezzar ».

Un steward sortant tout droit de « la croisière s'amuse » s'approche de moi.

- Bienvenue à bord monsieur Lelion. Nous vous souhaitons un bon séjour parmi nous, si court soit-il. Monsieur Kobayashi souhaiterait s'entretenir avec vous.

Il me tend un téléphone portable. Pourquoi mon séjour sur ce palais flottant serait court. Je vais exiger de Tak qu'il me ramène à Tokyo à son bord. Une croisière au frais de ce petit con qui n'a pas conscience qu'on a failli mourir écraser par sa faute. J'arrache le téléphone des mains du marin prêt à en découdre avec l'otaku.

- Putain de merde Tak, tu as failli nous tuer avec tes conneries.

- Yo Angus. Ce n'est pas le cas, apparemment tu es suffisamment vivant pour être désagréable et ne pas être reconnaissant. J'aurais préféré un merci.

Je ne m'abaisserais pas à ça. Avec cette technique de sauvetage, il avait une chance sur deux de nous récupérer en vie. Je suis certain qu'il en avait conscience.

- On s'est fait niqué. Indy n'est pas notre ami.

- Je sais.

- Comment ça tu sais ? Et comment tu as pu savoir que ça ne se passait pas bien pour nous et que nous avions besoin d'aide ?

- Yoshi est équipé d'un traceur. Mon père le fait avec tous ses employés. On sait où ils se trouvent mais également leur état de santé et de stress. C'est très pratique pour savoir si on est en train de nous trahir, grâce à l'étude du rythme cardiaque ou encore si une bande rivale nous demande une rançon pour un de nos hommes, souvent il est déjà mort. La mafia de Tokyo a un gros réseau logistique et innovation pour se développer dans de bonnes conditions. Le bateau avec l'équipement de forage a quitté le port de kaohsiung sur l'île Taïwan tôt ce matin, avant que vous ne plongiez. J'aurais préféré qu'il arrive plus tôt mais j'ai eu quelques soucis administratifs. Quelques broutilles sur l'écologie et la protection de site classé, ce genre de choses qui se règle à coup de menace et de prise d'otage. Tu vois le genre. Je préfère toujours assurer mes arrières. Je ne pouvais quand même pas faire entièrement confiance à un geek, une gosse de riche et un vieillard louche sortant d'on ne sait où. Alors, peut-être que ma méthode t'a paru brutale, mais c'est la seul que j'ai trouvé.

J'ai l'impression d'être dans un James Bond. Cette conversation est hallucinante pour un simple employé comme moi.

- Apparemment tu as tout prévu. Sauf qu'Indy nous double et se barre avec les médaillons vers les autres cités. Il a Jack Daniels, le frère de Sophie. Grâce à lui, il sait où se trouve la prochaine bibliothèque. Tu ne le retrouveras jamais avant qu'il l'ait détruite.

- Tu me sous-estimes. Un autre jet a atterri sur Yonaguni aujourd'hui. Un certain Robert Baratheon dit « Indy » est monté à son bord il y a à environ deux heures. Nous avons recoupé les informations que nous détenions : horaire de départ, type d'avion et direction. Nous avons réussi à déterminer son plan de vol en contactant les aéroports et en graissant des pattes. Je peux te certifier qu'il va se poser sur Easter Island après une escale de ravitaillement à Hawaï.

- Easter Island ! L'Île de Pâques !

Ce n'est pas illogique, ça peut même être plausible. Le totem de Yunaguni me rappelait les statues Moaï qui parsème l'île chilienne. C'est le lieu habité le plus isolé du monde. Ça en fait une bonne planque.

- Mais comment savais-tu quelle direction prenait son avion ?

- Ce cher homme s'est nourri dans mon hôtel. Je viens de te dire qu'on fonctionne beaucoup avec des traceurs. On estime qu'il va l'évacuer dans deux à trois jours. En attendant, on le suit.

Machiavélique. Cet adolescent que j'ai toujours pris pour un abruti est un génie de l'espionnage. Je me souviens de sa chambre bordélique, impossible de deviner qu'il puisse être organisé. Il ne faut pas toujours se fier aux apparences.

- Connaissant sa destination je me suis intéressé au Moaï. Savais-tu que certaine de ces sculptures possèdent un corps enterré ?

- Ce ne sont pas juste des têtes ?

- Et tiens toi bien, il y en a qui ont été partiellement déterré dans la zone volcanique de Rano Raraku. Dans la partie invisible habituellement, les pierres sont couvertes de glyphe. Ce n'est pas très clair comme dessins. Un cercle au dessus d'une ligne courbe surplombant un « Y » et des oiseaux. Tu vas avoir le temps d'y réfléchir en vol. De toute façon, tu n'aime pas tellement dormir en avion.

- Non, non, non, non. Je ne veux pas continuer. Envoie quelqu'un d'autres à l'autre bout du pacifique. Moi, je rentre chez moi. Pourquoi n'envoie tu pas tes hommes ?

- Disons que mon père n'approuve pas toujours mes choix. Je vais me faire défoncer pour le sauvetage de Yoshi, un homme de main

De Yoshi. Pas « votre » sauvetage. Quelle place a-t'on dans cette histoire pour Takeshi ? Nous sommes des pions jetables sans importance. Difficile à dire. Tak n'est encore qu'un enfant et je pense qu'il ne se rend pas compte de la porter de ses propos. Comme tous les adolescents, il est égoïste et spontané.

- Je comprends, continue Takeshi, que tu ne veuilles plus mettre ta vie en danger. Je respecte ton choix. Je ne vais pas t'obliger à aller sur l'Île de Pâques.

Je suis surpris qu'il se montre compréhensif. Il n'a même pas insisté. C'est assez étonnant de sa part.

- Mais...

C'était trop beau pour être vrai.

- Indy, comme tu l'appelles, est la seule piste que Sophie va suivre pour retrouver son frère. En bon gentleman que tu es, protecteur de cette jeune femme fragile à laquelle tu tiens tant, tu ne vas pas la laisser partir seule ?

- Salaud ! Tu es vraiment qu'une sale...

- Ton avion part dans trente minutes. Bon voyage mon ami !

Il me raccroche au nez. Je me suis fait piéger. Sophie me questionne du regard. Je n'arrive pas à lui sourire.

- Nous partons pour l'Île de Pâques.