Ile de Pâques - 3

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      Je m'agenouille face à une Sophie livide. Je ne trouve pas de mots pour la consoler. Il n'en existe aucun d'assez fort pour ce genre de situation. Malheureusement, je ne peux pas lui laisser le temps de faire son deuil ici. Le temps presse, la lave nous rejoint. Nous devons évacuer avant que ça ne devienne critique.

- Sophie, viens ! On doit partir.

- NON.

- Sophie, on va y rester si on ne bouge pas. Donc, ON BOUGE !

- VA-T'EN !

- Je ne partirai pas sans toi. Tu ne veux pas mourir et moi non plus. Tu nous condamne tous les deux en refusant de te lever. Il faut vivre si tu veux venger Jack.

Cette phrase à l'air de la décider. Elle plante son regard dans le mien. Je sens toute la colère qu'elle a pour Indy.

- Je le tuerai de mes mains. Tu entends ? Il va payer pour son crime, avec son sang.

Elle n'est pas une tueuse. Ses mots sont dictés par ses émotions. Elle ne pourrait jamais supprimer quelqu'un de ses mains. Ça demande une froideur et une cruauté dont elle est incapable. A cet instant, je ne vais pas essayer de lui faire abandonner cette idée. Plutôt que de renoncer à vivre, elle s'est trouvé un nouveau combat : la vengeance. Ça me convient pour le moment. Plus tard, elle apprendra à vivre avec ce drame.

J'entends des sirènes approchées. Toute une armada arrive pour sécuriser la zone et secourir les éventuels blessés. Par chance, ce n'était pas une journée très touristique, les températures extrêmes ont encouragés les voyageurs à chercher la fraicheur d'une climatisation ou à profiter de la plage Anakena au nord de l'île.

J'aide Sophie à se mettre debout. Je la presse contre moi et ses larmes coulent sur ma chemise. Elle pèse de tout son poids contre mon épaule. Je lui chuchote dans l'oreille qu'il faut que l'on s'éloigne du torrent de lave. Je n'ose la brusquer mais ça devient vital que l'on se déplace. Elle consent enfin à bouger. Nous nous dirigeons vers le parking où viennent de se garer plusieurs camions de pompiers.

A mi-chemin, je sens son corps qui se redresse. Elle s'échappe de mon étreinte pour se tourner vers moi. Son regard a changé. Il est déterminé. On s'observe et je me dis que je ferais tout pour elle. Si elle me le demandait, je la suivrais au bout du monde pour exécuter le meurtrier de son frère.

- Maintenant, je dois faire le deuil de Jack. Merci à toi. C'est fini !

- Comment ça, « c'est fini » ?

Elle paraît tellement froide d'un coup. Elle recule légèrement. Le fait-elle sciemment ou non ? Elle est en train de mettre de la distance entre nous. Je la regarde étonné, ne voyant plus les pompiers se dirigeant vers nous, plus rien ne compte à part elle. Je ne comprends pas ce qu'elle cherche à me dire ou plutôt je ne préfère pas comprendre.

- Vous avez fait votre travail monsieur Lelion. Je suis venu vous chercher pour que vous m'aidiez à retrouver mon parent. C'est fait ! Je vous remercie. Je n'ai plus besoin de vos services. Je mets le jet à votre disposition pour que vous puissiez rentrer à Paris. Je vous enverrai une indemnité pour le temps que vous m'avez consacré. Nos chemins se séparent ici.

Je n'y crois pas. Elle me renvoie comme un vulgaire employé, comme si nous n'avions rien partagé ses derniers jours. Elle me tend la main pour me la serrer. Je reste figer. J'oscille entre colère et désespoir. Elle ne peut pas me faire ça. Je dois compter un peu pour elle. Je n'étais rien avant qu'elle débarque au comptoir derrière lequel je pourrissais. Grâce à elle, je me sens vivant pour la première fois de ma vie. Je pensais qu'elle aussi se sentait bien à mes côtés. Je nous imaginais un avenir. Je ne veux pas que ça se termine comme ça.

- Mais tu...

- La famille Daniels vous sera toujours infiniment reconnaissante pour l'énergie que vous lui avez consacrée. Je vous rends votre liberté.

Elle me fixe. Son âme est vide. Elle a commencé son deuil. Ce serait vulgaire de ma part de lui faire une scène. Tout le monde réagit différemment face au décès d'un proche. Sophie a besoin de solitude alors que moi je voudrais l'envelopper d'un bulle protectrice. Je me résigne à sa décision. Après tout qui suis-je ? Je ne suis que le pathétique geek qui s'est pris pour un aventurier. Je lui serre la main qu'elle me tendait. Son contact me donne des frissons dans tout le corps. D'une voix chevrotante je prends congé malgré moi.

- Bien. C'est ta décision. J'espère vous avoir été agréable madame Neveu.

Les pompiers nous ont rejoins. Je baragouine dans un mauvais espagnol que je n'ai rien et qu'il faut s'occuper de la jeune femme. Ils ont l'air de m'avoir compris et l'emmène vers le véhicule de secours le plus proche. Elle ne me lance aucun dernier regard avant de monter à l'arrière et de disparaître de ma vie.

Ce que je prenais pour une aventure épique se termine en tragédie.  

Le Geek Ultime (1. Genesis)Where stories live. Discover now