Mon portable vibre sur la table de la cuisine, annonce d'un nouveau message.
« Salut, tu as laissé ton numéro pour les cours, tu veux que je vienne ou que tu viennes ? »
J'en déduis bien évidemment qu'il s'agit de Jay, mais il aurait pu je sais pas au moins signer son sms ? Je rigole intérieurement parce que son message est encore une fois direct comme lorsqu'il m'a donné son adresse.
« Salut Jay ! Je peux venir te les apporter si t'es ok ? »
Je décide alors de lui répondre aussi directement que lui, sans réfléchir. Il me répond que je peux passer dans l'après-midi. Au même moment, je reçois un appel d'Ayden. Je décroche dans la seconde et il a l'air surpris.
- Anna ! Pressée de me répondre à ce que je vois !
- J'étais sur mon téléphone, c'est pour ça, je rétorque.
Il prend de mes nouvelles, alors qu'on se voit absolument tous les jours de la semaine pendant les cours. Notre conversation dévie vers diverses choses, je lui explique pour Jay et il a l'air plutôt abasourdi par tout ce que je lui révèle, bien que ce ne soit pas non plus des choses énormes.
Au final, nous passons une heure à discuter de la situation Maria/Mattéo, il est plutôt de la team Maria, ce qui ne m'étonne pas le moins du monde. Les garçons ne se sont jamais vraiment bien entendu, donc qu'il prenne le parti de Maria me semble normal.
Après son analyse méticuleuse de leur relation, il finit par me souhaiter une bonne journée, non sans m'avoir supplié de tout lui raconter. Il a même employé les grands moyens en m'appelant « chouquette ». Ce surnom me fera éternellement sourire, il m'a appelé comme ça une fois en sixième, et depuis c'est resté. Un genre de délire que l'on oubliera jamais.
Je réalise que la matinée est passée vite parce qu'il est déjà l'heure de manger, comme à son habitude ma mère est en retard et je dois me débrouiller seule. Après m'être habillée, une jupe bordeaux avec des collants noir à motifs et un petit pull, je passe dans la salle de bain pour me maquiller un peu. Je ne me maquille pas très souvent, mais le week-end j'aime bien prendre un peu soin de moi.
Je prépare un repas en jetant constamment des coups d'œil à mon téléphone pour voir si ma mère se décidera à me prévenir de son retard ou non. Je finis par lui envoyer un sms, auquel elle ne m'a toujours pas répondu une demi-heure plus tard. J'en envoie un autre pour la prévenir cette fois que je ne serai sans doute pas à la maison lorsqu'elle rentrera. Je me demande réellement ce qu'elle peut bien être en train de faire.
Ma mère est professeur de droit à la fac, qui n'est pas très loin de chez nous, elle a généralement deux heures de cours le samedi matin mais termine à dix heures. Je ne sais pas ce qu'elle avait de prévu, peut-être que je m'inquiète pour rien après tout.
***
Je commence à connaître le chemin par cœur et une fois arrivée devant chez lui, je lui envoie un sms au lieu de sonner. Pourquoi faisons-nous ça d'ailleurs ?
Les volets de la maison sont tous entre-ouverts, alors qu'il n'y a pas de soleil et qu'il fait plutôt sombre à l'extérieur. Je ne relève pas très longtemps ce détail puisque Jay ouvre la porte.
Il me dit de me mettre à l'aise, et je me sens d'un coup beaucoup trop habillée, du moins trop classe. Vous voyez la sensation de s'être trop apprêtée ? Jay est en jogging noir, un tee-shirt bleu lui tombe sur ses hanches et ses cheveux sont décoiffés, on dirait qu'il sort de la douche. Ses yeux sont rougis et il a l'air fatigué.
Il se passe une main dans les cheveux et à la vue de la pile de cours que je pose sur sa table il soupire.
- Qu'est-ce qu'il y a ? je demande perplexe.
- Non rien, ça fait beaucoup tout ça, je pensais pas qu'il y aurait autant.
- Je peux...t'aider si tu veux ?
Depuis quand j'aide les gens, moi ? Je n'arrive déjà pas à réussir tous les examens alors pourquoi j'arriverais à l'aider, c'est absurde. C'est sorti tout seul, comme si je n'avais pas envie de partir. Tout dans son attitude transpire la solitude. C'est peut-être à cause de ça que je me sens obligée de lui apporter un peu d'aide.
Il semble réfléchir à la question un instant et son visage s'adoucit, ses traits se font moins durs, moins tirés.
- Franchement, si ça te dérange pas... souffle-t-il dans un élan de désespoir.
- Je n'ai rien d'autre à faire cet après-midi ! Allez, je t'explique deux-trois trucs et tu seras moins largué, t'en pense quoi ?
- Va pour que je sois moins largué !
Il sourit et nous dirige vers la table de la salle à manger.
L'après-midi passe à toute vitesse et rapidement deux heures se sont déjà écoulées. Je crois qu'on s'est pris au jeu. Il a l'air d'avoir pas mal de retard, je ne sais pas dans quel lycée il était avant, mais il est clair qu'il n'a pas eu le même programme que nous.
J'apprends qu'il compte revenir seulement le mardi suivant en cours et je me demande sérieusement ce qu'il peut avoir à faire chez lui de si important pour ne pas venir. Visiblement, il n'est pas malade, sinon je l'aurais remarqué.
- Merci d'avoir été patiente.
Ses remerciements soudain m'ont pris de cours et je tente d'ironiser :
- Avec une mère prof, j'ai la pédagogie dans le sang !
- Mmmh.
Son sourire s'efface peu à peu et il me regarde à présent avec une lueur attristée dans le regard. Qu'est-ce que j'ai dis de mal ? Les blagues, il faut que j'arrête je crois.
- Jay ? Pardon c'était stupide. Bon je vais y aller, puisque ma mission est accomplie !
- Hein ? Non, attends tu peux rester. Tu as passé l'après-midi à m'aider, tu dois avoir soif ou envie de manger un truc ?
- Un verre d'eau, je veux bien, merci, je réponds.
James se dirige vers la cuisine et pendant ce temps j'en profite pour observer un peu sa maison. Il n'y a pas grand-chose, peu de meubles et aucune décoration. Aucun détail ne m'en apprendrait plus à son propos, il n'y a pas de photos, pas de tableaux et rien qui traîne.
Il revient, de l'Ice Tea dans une main et un pot de glace dans l'autre.
- On a besoin d'un remontant après tout ce qu'on a fait ! lâche-t-il comme si c'était tout à fait normal et que l'on se connaissait depuis toujours.
- Comment t'as su que j'aimais la glace au caramel ?
- Quelle fille n'aime pas ça ?
Il fait mine d'être choqué et cela me fait rire. On s'installe dans son canapé et il allume la télé. Je ne pensais pas que j'allais me retrouver assise dans son canapé, à rire autant devant un programme de télé-réalité complètement inutile. Pourtant, il a le mot pour rire à propos de chaque candidat et ses critiques ont le don d'être réellement insensées, ce qui me fait d'autant plus rire.
On passe un réel bon moment, il n'a plus l'air préoccupé, et son sourire me fait chaud au cœur. On dirait qu'il avait besoin de ça, besoin d'un moment pour oublier ce qui le tracasse.
Je sors mon téléphone et me rends compte qu'il faut que j'y aille. Je suis quand même inquiète pour ma mère qui n'a toujours pas répondu à aucun de mes messages.
Jay me raccompagne jusqu'à devant chez lui et avant de m'en aller je me risque à lui poser la question qui me démange depuis que je suis arrivée chez lui.
- Au fait, est-ce que je peux te demander pourquoi t'étais pas là cette semaine ?
- Anna... dit-il dans un souffle. C'est une longue histoire et ...
Je le coupe sans le laisser finir sa phrase, comprenant que je n'aurais pas du lui poser la question :
- Jay, d'accord. Tu n'es vraiment pas obligé de me le dire, je sais que ça ne me regarde pas. Je n'aurais même pas dû te poser la question, pardonne-moi. Mais si tu veux en parler, je suis là, t'as mon numéro... Et puis on se voit mardi ! Salut !
Je parle tellement vite que je suis essoufflée et lui adresse un dernier au revoir de la main en m'éloignant sans lui laisser le temps de vraiment répondre. J'ai cru tout de même voir une lueur d'espoir dans ses yeux, comme s'il était reconnaissant.
Bien sûr que j'aurais voulu savoir, mais je ne suis pas comme ça, je ne force pas les gens à me dire ce que je veux savoir. Du moins, j'essaie.