Bercée par une douce chaleur, Flore souleva ses paupières lentement pour les refermer aussitôt, la lumière du jour l'aveuglait. Elle avait juste eu le temps d'apercevoir des murs en bois aux différentes nuances de beige et marron.
Je suis dans une habitation. Où ?
Son esprit demeurait blanc, malgré ses tentatives pour se souvenir. Quand une douleur s'inséra sous son crâne. Elle abandonna et se concentra sur son environnement. Une odeur sucrée flottait dans l'air, celle de fruits confits, lui mettant l'eau à la bouche. Une fraîcheur descendit sur sa joue : quelqu'un fermait les voilages de la fenêtre.
Qui ?
— Flore, murmura une voix à son côté.
La princesse perçut la surprise dans le ton, elle n'était pas la seule à être désorientée. Cette fois, elle ouvrit les yeux sans gêne et croisa deux lacs bleu-orange. Ils la scrutaient telle une revenante. Kishor, reconnut-elle. Le pêcheur rencontré sur son trajet vers la clairière des Imlayas.
— C'est impossible ! Tu devrais être morte.
Pas un des meilleurs accueils qu'elle ait entendu dans sa vie !
— Désolée de te décevoir, voulut-elle railler sous un air bravache.
Pourtant ces propos l'inquiétaient. Sa voix rauque, comme si elle ne l'avait pas utilisée depuis des mois, accentua son désarroi.
Certainement perceptible, râla-t-elle in petto lorsque le rire de Kishor emplit l'espace exigu. Il relâchait sa tension accumulée, comprit-elle. Mais elle ne retint pas un regard assassin, et son ami redevint sérieux.
— Communiquons par la pensée, suggéra-t-il.
— Qu'est-ce qui m'empêche de parler ? Où suis-je ? jeta-t-elle.
— Du calme ! Nous sommes en sûreté chez les Imlayas. Ils nous ont récupéré à la clairière le même jour où nous sommes arrivés.
J'ai réussi à retrouver la tribu ? Flore peinait à le croire. Le sourire éclatant du pêcheur chassa toutefois ses doutes. Elle poursuivit :
— Pour quelle raison devrais-je être morte ?
— Tu ne te souviens pas ?
À cette question, elle essaya de se remémorer. La douleur à son réveil se manifesta à nouveau et s'acharna dans sa tête tel un couteau. La princesse posa les doigts sur son front tandis qu'un gémissement lui échappait.
— Bois, ordonna Kishor. Ta migraine disparaîtra.
Flore attrapa le gobelet tendu, le vida d'un trait. Assoiffée, elle but plusieurs verres d'eau, versés par son ami. Le tumulte s'effaça de son esprit et la brume se déchira enfin.
— La maladie du sommeil, déclara-t-elle. Mortelle !
— Le guérisseur avait établi un diagnostic clair. Peu importe comment tu as survécu, je suis trop heureux de te voir vivante !
L'enthousiasme contagieux de Kishor entraîna un sourire franc sur le visage de la kiriahni. Elle avait son idée sur ce point.
— Pourquoi ai-je tant de mal à bouger ?
— Tu es restée un bon mois dans le coma. Tu ne remarcheras pas du jour au lendemain.
Estomaquée, la princesse écarquilla les yeux. Un mois ! Et une longue convalescence qu'elle ne pouvait se permettre l'attendait ! Le grognement caractéristique qui envahit soudain la pièce ramena Flore à la réalité. Alors qu'une vive chaleur montait à ses joues, Kishor quitta son fauteuil, le regard bleu-orange pétillant.
— Je vais te chercher à manger. Soupe pendant plusieurs jours, proclama-t-il à voix haute.
Si elle désirait récupérer ses capacités physiques au plus vite, ce menu serait insuffisant. Mais Flore ne contredit pas le pêcheur. Dès qu'il eut franchi le pas de la porte, elle tenta de se connecter à sa perle avec appréhension. Revêtue d'une longue chemise blanche, elle s'interrogeait au sujet de ses affaires.
Un Imlaya a dû s'en occuper.
Le souvenir de la lessive effectuée à Conimont à l'aide d'une sphère bleue lui revint en mémoire. Cachée au fond d'une poche secrète de sa tunique, la perle risquait sa destruction par la puissance du lavage. Cependant, rien ne prouvait que la tribu vivait ainsi.
Flore exhala un soupir de soulagement lorsque la liaison se réalisa : ses vêtements étaient rangés dans une commode en bois noirci par le feu, peint d'oiseaux et de fleurs. Elle vérifia aussi la bulle de la prophétie.
Intacte.
Rassurée, elle téléporta sa perle dans la main glissée sous sa couverture, puis contacta Ixli avec son kiriah de communication longue distance.
Si je suis revenue de l'Entre-Deux monde, c'est grâce à toi, ma tante.
L'uriahmi répondit tout de suite à sa requête, leur discussion ne s'éternisa pas. La princesse apprit l'implication de Merioni et le rôle de son frère. Elle demeurait admirative devant la bravoure de ce dernier : maître kiriahni, elle connaissait la portée de l'acte exécuté par l'adolescent.
Ta témérité m'a sauvé la vie, Sojeyn. Au prix de la tienne !
L'entrée du pêcheur, suivi de deux hommes, la tira de sa réflexion. Si ceux-ci étaient habillés d'une tenue semblable à celle de Kishor, agrémentée d'un foulard pourpre, l'un d'eux se distinguait par la couleur vert foncé de son habit.
Un guérisseur ! Je dois rester prudente tant que je ne sais pas comment les kiriahnis sont acceptés.
Elle monta ses barrières mentales au maximum, alors que son ami pointait la main vers chacun des Imlayas.
— Flore, je te présente Akeno, maître d'armes. Il nous a récupérés à la clairière. À ses côtés, Kani, ton guérisseur.
Ils la saluèrent et la fixèrent, pendant que Kishor posait un bol de soupe, des galettes salées, de l'eau sur la table à son chevet. La kiryahni ne tenta pas de rompre le silence.
Je ne prendrai pas de risque de commettre un impair. À vous la parole.
— Ton cas est surprenant, novice Ann-Flore, formula Kani, dès que le pêcheur s'écarta près de la fenêtre. De toute ma vie, je n'ai jamais rien vu de tel, personne ne survit à la maladie du sommeil.
— J'ai mangé très peu de baies, insinua-t-elle d'une voix encore faible.
— Tu peux communiquer par la pensée.
— Je ne suis pas assez douée. Je préfère parler.
— Pourtant ton esprit est verrouillé, impossible d'y accéder, constata le guérisseur un sourcil arqué. Il est vrai que c'est plutôt le signe d'une excellente maîtrise, et non celui d'une capacité suffisante pour le contact mental.
Flore parvint à conserver une attitude impassible. Ces mots auraient choqué plus d'un au Conseil et parmi ses proches. Lire les pensées d'autrui était une violation du troisième Principe, celui du respect de la vie privée.
— Kani s'occupera de ta rééducation, intervint Akeno. Quand il le décidera, tu seras autorisée à rejoindre le bâtiment des femmes novices, où tu logeras pendant ta formation de combattante.
— Kishor, si tu le souhaites, tu peux m'aider, ajouta le guérisseur.
— Avec plaisir, répliqua le pêcheur.
Après le départ des deux Imlayas, la princesse relâcha sa respiration qu'elle avait bloquée sans s'en rendre compte.
L'alerte était passée !
Elle écouta ensuite volontiers son ami lui raconter la vie du village tandis qu'elle mangeait. Lorsque son assiette fut vide, il vérifia ses boissons pour la nuit et la quitta.
Flore attrapa sous ses draps une fiole ciselée en forme de boule, elle contenait un liquide couleur émeraude. Durant sa conversation avec sa tante, elle avait annoncé la perte de la première à la suite de l'agression de la pantigra. Ixli s'était connectée à Merioni et, ensemble, ils lui avaient téléporté ce précieux objet. L'élixir de llyriah.
Quelques gouttes tous les jours suffiront pour accélérer ma guérison, se dit-elle en versant le breuvage dans son gobelet d'eau.
Sa rééducation dura en fait tout un mois. D'abord, elle travailla ses muscles atrophiés sans bouger de son lit ; puis, très rapidement, elle rejoignit une salle du bâtiment équipée de tapis et accessoires adaptés. Son ami participait à ses séances avec Kani. Si l'Imlaya ne la ménageait pas, la princesse exigea encore plus de son corps, libre d'utiliser la pièce à sa convenance.
Ses progrès ne l'étonnèrent guère : chaque nuit, elle rencontrait Ixli dans l'Entre-Deux monde qui, sous le contrôle de Merioni, la soignait des dommages du coma.