— Vous vous êtes réveillés dans un bâtiment inhabité, c'est ça?
— Et peu de temps après, Janson est arrivé avec sa barrière protectrice autour de lui — j'en ai fait les frais — et nous a dit que l'on devait vous retrouver, compléta Thomas.
J'étais assise sur la terre, le dos contre un arbre maigre sans feuilles, et Thomas était allongé, ses yeux se fermant parfois à cause du soleil.
On m'avait retiré la balle dans mon épaule, à vif. Cela faisait extrêmement mal. C'était comme si l'on m'enfonçait un couteau brûlant dans ma blessure. Je croyais que j'avais hurlé mais je n'en étais pas sûre, à vrai dire, sur le moment, j'étais à moitié inconsciente — la douleur me maintenait éveillée.
Un bandage m'entourait l'épaule et l'on m'avait fait une écharpe pour porter mon bras. J'avais été touchée par l'attention bien que c'était un geste anodin. J'étais blessée alors on prenait soin de moi, cela semblait évident mais presque étonnant étant donné le manque d'humanité dans cet endroit.
Beth était alitée et sa plaie était en train d'être soignée. Elle demeurait dans les vapes et c'était préférable, bien qu'elle serait sûrement très râleuse à son réveil. Caleb dormait. Il aurait voulu veiller mais je l'avais obligé à se reposer aussi longtemps que possible.
— Tu as des nouvelles de Newt?
Je baissai les yeux, abasourdie, vers Thomas. C'était une sensation étrange que d'entendre son prénom prononcé par une autre personne que soi. C'était comme se rendre compte que l'on n'était pas la seule à se soucier de cette fameuse personne, pas la seule à encore y songer après tout ce temps.
— Je lui ai reparlé une fois, à WICKED. Il va bien, je crois. Enfin bon, il a changé, il est corrompu.
Le brun dirigea son regard vers moi. Je ne saurai dire quelles émotions pouvaient se confronter dans sa tête à cet instant. Je n'avais pas pus l'affronter et j'avais détourné les yeux pour fixer un point au loin.
— Comment tu peux dire ça? Newt est quelqu'un de bien.
— C'est la vérité. Il était différent lorsque je lui ai parlé. Il a tenu un discours que Janson aurait pu dire. Il est de leur côté, Thomas. Après ce qu'il a fait, je ne pourrais même plus le regarder en face de toute manière.
— Il n'était pas lui-même, tu l'as bien vu. Ils le contrôlaient comme ils te contrôlaient quand tu as tué ce blocard. Tu n'étais pas toi-même non plus ce jour-là.
Je laissai échapper un rire vide, sans détourner le regard de l'horizon encore sombre à cette heure de la nuit.
— Comment tu peux oser parler de quelque chose que tu ne connais pas? Comment tu peux même imaginer le fait que tu saches qui je suis? rétorquai-je, touchée.
— Il y a un truc qui tourne pas rond chez WICKED. Pas chez toi ou chez Newt. Nul besoin de te connaître pour savoir que tu ne tuerais jamais quelqu'un sous le coup de la colère et volontairement.
— Je l'ai pourtant fait volontairement. Je ne parvenais pas à détacher mes mains de son cou, j'étais furieuse qu'il ait tenté de me... de me toucher de la sorte. Puis ses yeux sont devenus vitreux et... son coeur a cessé de battre. Tu te rends compte? J'ai tué de mes propres mains un blocard alors qu'il était lui-même contrôlé par WICKED. J'ai fait exactement ce qu'ils attendaient de moi. Je suis leur objet, j'ai été conçue ainsi; pour faire du mal. C'est ce que je suis. Je n'avais pas de puce à ce moment-là. J'étais moi-même. C'est ma colère qui l'a tué, pas celle de WICKED.
— Conçue pour faire du mal? Qu'est-ce que tu racontes? répéta-t-il, confus.
Pouvais-je lui raconter mon passé? Tout lui confier? Il ne me croirait sûrement pas et me prendrait pour une paranoïaque égoïste et apeurée qui essayait de rejeter la faute sur WICKED. C'était ce que j'étais mais je ne supporterai pas que quelqu'un d'autre que moi me le dise. Affronter la vérité est le pire des combats.
— Changeons de sujet, dans ce cas. C'est qui les deux personnes avec qui tu étais? Je ne les ai jamais vus, relança Thomas.
Je le remerciai silencieusement de respecter mon choix de ne rien lui révéler, alors que j'étais persuadée que la curiosité le rongeait — cela se remarquait à ses yeux qui n'arrêtaient pas d'essayer de capter vainement mon attention.
— La fille, c'est Beth. Une blocarde du bloc B. L'alter ego de...
Je me figeai dans ma lancée. Je croyais me souvenir que Thomas ne portait peut-être pas Gally dans son coeur, c'était même certain. Comment allait-il réagir? Comment avais-je moi-même réagi déjà? Par des hostilités dans les paroles et les gestes. Mais c'était différent pour Thomas et Beth. Elle m'avait attaquée la première et, Gally ou pas, j'avais voulu riposter. Or, Thomas l'avait mise sous soins et la prenait pour une totale étrangère. Je commençais sincèrement à apprécier Beth et je ne voulais pas qu'elle soit rejetée par les blocards qui ne verraient chez elle que la version féminine de Gally: une brute.
Mieux valait prendre des précautions avant de lui annoncer.
— D'abord, tu le sais que nous avons tous notre alter ego dans l'autre bloc? Une personne de sexe différent avec qui l'on partage des points communs?
— J'ai cru le comprendre.
— Je voudrais que tu me promettes de ne pas traiter Beth différemment après que je t'aurai appris qui elle est.
— Si tu comptes me dire qu'on sortait ensemble avant le labyrinthe, ne t'en fais pas, je ne la forcerai pas à ressortir avec moi.
Son rire résonna dans la nuit, pur et enfantin. Il contrastait avec le sérieux de la situation. Qu'importe.
— Je voulais te parler de son alter ego dans notre bloc. C'est... Gally.
Son prénom se perdit dans un murmure si bas que je crus que j'aurais à le répéter. Mais Thomas avait très bien entendu son prénom. Je sentis qu'il se crispa à l'entente de son nom mais, en respect pour sa mémoire — on ne disait pas de méchancetés d'une personne décédée, c'était la coutume semblait-il —, il ne commenta pas la nouvelle.
— Tu me promets de ne pas la rejeter? Elle n'est pas comme lui. Enfin, elle est rude et sévère sur la facade mais elle est beaucoup plus sensible et fragile qu'on ne le pense. Elle vient du bloc comme nous, elle a enduré des événements éprouvants et elle s'est fait mordre par un fondu.
Il ne répondit rien. Je détachai finalement mes yeux du paysage pour les poser sur lui. Nos regards ne se croisèrent pas, lui fixait le ciel où brillaient quelques étoiles çà et là.
— Jure-le. Pour moi.
Il avait dû sentir mon regard sur lui car ses yeux s'accrochèrent aux miens instantanément.
— C'est promis. Mais qu'elle se contienne dans ce cas.
Je lui adressai un petit sourire, soulagée. J'étais rassurée qu'il ait l'air d'assimiler aussi bien la nouvelle.
— Et le garçon? C'est ton alter ego, je présume?
— Comment tu as pu le deviner?
— On va dire qu'il n'y a pas une infinité de filles au bloc et qu'il n'y en a qu'une qui ait l'air aussi coriace et combative que lui.
— Je suis plus forte que lui au combat.
— Je n'en doute pas une seconde.
Mon rire se mêla au sien pendant quelques secondes. J'inspirai une bouffée d'air frais.
— Il s'appelle Caleb, ajoutai-je.
— Et le petit frère?
Je baissai la tête en me remémorant le pauvre sort de Léo. On ne devrait pas mourir si jeune. Thomas comprit et ne me posa pas plus de questions à son sujet ni à propos de Sonya. Il ne voulait peut-être pas me faire penser à Newt.
— Qu'est-ce qui va se passer maintenant, à ton avis? me questionna le brun, s'étant relevé en position assise entre temps.
— Seul le temps nous le dira, soupirai-je. Tout ce qu'on peut espérait c'est que l'on sera encore tous en vie pour le découvrir.
— Je peux te poser une question?
Un soupçon d'hésitation perçait dans son interrogation.
— Bien sûr.
— Est-ce que la mienne est toujours en vie?
— Je crois bien que oui.
— Elle s'appelle Teresa, n'est-ce pas? J'ai déjà rêvé d'elle. Non, pas de choses déplacées ou quoi que ce soit d'autre. Je crois que c'était plutôt des flashbacks. Je me souviens d'elle.
— Étrange cette capacité que les garçons ont à avoir des flashbacks.
Je m'étais souvenue que Caleb m'avait appris se rappeler de moi avant le labyrinthe. Lorsque c'était juste nous contre tous les autres. Je n'en avais pas de souvenirs, du moins pas aussi précis que les siens semblaient l'être.
— J'ai peur de la rencontrer. Qu'est-ce que je fais si elle ne m'aime pas?
— Comment quelqu'un ne pourrait-il pas tomber sous le charme d'un garçon qui pose autant de questions?
— Je suis curieux, c'est tout!
Le sourire aux lèvres, je me remis debout et époussetai mon pantalon pour retirer la terre incrustée. Je regardai au loin pendant quelques secondes, comme si j'allais voir les filles au loin courir vers nous. Mais la vie n'étant pas un miracle, l'horizon resta tristement vide.
— Je vais voir comment se porte Beth.
— Essaie de dormir un peu après, d'accord? On a beaucoup de marche à faire demain, si on veut attendre la ville.
— La ville?
D'un signe de tête, il me désigna des bâtiments au loin, certains effondrés et d'autres à peine endommagés. Je ne les avais jamais remarqués auparavant. Ils devaient se fondre dans la masse, à moins que j'étais trop concentrée à réfléchir pour les avoir remarquer.
— Tu espères trouver quoi là-bas? C'est complètement mort ici.
— Le groupe d'hommes nous a prouvé le contraire. Je n'étais pas sûr non plus qu'il y ait encore des survivants mais visiblement, c'est le cas. On pourra peut-être trouver les filles là-bas.
J'acquiesçai. C'était un bon plan. Dangereux et incertain mais le seul qu'on avait, après tout. J'allais dormir un peu. Nous devions atteindre cette ville avant la nuit prochaine.
— Toi aussi, essaie de dormir, lui ordonnai-je, avant de le quitter pour rejoindre Beth.
Elle avait toujours les yeux clos et respirait de façon anormale. Son état était moins inquiétant qu'avant mais il n'était toujours pas redevenu normal.
— Elle se remettra, me rassura une voix masculine à connotation familière.
C'était le garçon qui m'avait tiré dessus indirectement. Cela m'étonnait qu'il s'intéressait à Beth. Je ne le voyais pas soigner des personnes.
— Elle est immunisée alors tout ira bien pour elle. J-je m'appelle Louis.
— Et moi, Emilie.
— Tout le monde sait qui tu es, souria-t-il, avec un sourire timide.
Je m'en serais doutée. On n'échappe rarement à son passé, et encore moins à un passé aussi désastreux que le mien. Je laissai mon regard se perdre sur le visage endormi de Beth, pensant qu'il fallait vraiment que l'on discute de la photo et de Luke le plus rapidement possible.
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Merci d'avoir lu <3
— Bisou mes griffeurs ♡