– Il faut qu'on se mette en route dès maintenant, annonça Beth.
– Caleb n'a même pas eu le temps de se reposer, fis-je remarquer.
– Il en a eu l'occasion et il ne l'a pas fait, c'est de sa faute. Allez, debout.
Je me relevai sur mes jambes qui tremblèrent sous l'effort tant elles étaient courbaturées et engourdies. Cela faisait des semaines que je n'avais pas user de leurs capacités et elles étaient en quelque sorte redevenues faibles.
J'attrapai mon sac, vérifiai son contenu puis glissai mes bras dans chacune des bretelles, Beth m'imita. Caleb, lui, n'avait pas de sac, comme il sortait tout droit de WICKED et qu'il avait le statut de prisonnier en cavale.
J'espérais que nous ne nous ferons pas trop repérer en sa présence étant donné qu'il était recherché. Nous étions en mission toutes les deux, nous n'étions pas en danger – du moins face à WICKED – mais mieux valait ne pas attiser leur colère.
La brune fut la première à sortir de la petite maison et à affronter le soleil brûlant émergeant de son sommeil. C'était un soleil plus chaud que celui du bloc mais c'était la première fois depuis que je l'avais quitté que je revoyais cet événement naturel. Je fus submergée par une vague de nostalgie. Je me revoyais partir au soleil levant dans le labyrinthe, ou le matin de mes jours de repos, allongée dans l'herbe, le soleil embrassant ma peau.
– Si on part maintenant, on peut parvenir à parcourir une trentaine de kilomètres voire plus. On croisera peut-être même les filles au passage, nous rassura Beth, en tête de file.
Je hochai la tête pour approuver ses propos mais elle ne put le voir étant donné qu'elle se trouvait de dos. Elle nous dirigeait à travers les dunes de sable pendant que Caleb et moi traînions du pied à l'arrière. Je voulais engager la conversation, lui poser des questions sur sa conversation avec Beth ou sur nous deux mais je n'osais pas; ma maladresse m'aurait joué des mauvais tours.
– Je t'ai connue plus bavarde.
Je tournai du mieux que je pus la tête vers mon compagnon de route. Un morceau de drap cachait partiellement son visage ne me permettant pas de retracer des yeux les courbes de ses traits. Je restai prostrée quelques instants, ne sachant comment enchaîner.
– Je vais pas te manger, tu sais.
– Je le sais.
Pas une once d'ironie ne perçait ma voix. J'avais compris ce qu'il disait mais ma réponse sonnait beaucoup plus froide et provocante qu'amusée. C'était affligeant, je détestais ça.
– Excuse-moi, je voulais pas te froisser ou quoi que ce soit... s'excusa-t-il en baissant la voix.
– Non c'est moi. Je suis juste un peu fatiguée d'hier.
C'était l'excuse du siècle. Allait-il vraiment accepter ma pathétique justification ou allait-il creuser plus loin?
– Parle-moi, Emilie. Depuis que je me souviens de toi, je n'avais qu'une hâte: je voulais te revoir.
– T'as dû être un peu déçu par la marchandise...
– Ne dis pas de bêtises. Au contraire, tu es plus belle encore que dans mon souvenir. À l'occasion, je voudrais aussi vérifier si tu es toujours pourrie en combat, me taquina-t-il.
Je lui adressai un petit coup de poing dans l'épaule droite en lâchant un léger rire.
– Tu vas regretter ce que tu viens de dire, ignorant. Je suis beaucoup plus forte que toi!
– C'est ce qu'on verra.
Je lui tirai la langue, espiègle, et il ria à son tour. C'était bon de nous voir ainsi, le sourire aux lèvres, libérés de toute onde négative durant quelques instants.
– On accélère les traînards! Je vois d'autres bâtiments devant nous. Il y a peut-être de la vie là-bas! nous lança Beth en se tournant vaguement vers nous.
Je fis mine de marcher plus vite, de faire de plus grands pas mais progresser dans le sable n'étant pas une tache facile – d'autant plus que mes jambes me faisaient souffrir –, je manquai de basculer en avant. Caleb fit volte-face au même moment et me rattrapa de ses bras agiles. Il me redressa tandis que mes joues me brûlaient sous l'effet du soleil – ou sous son effet.
– Merci, soufflai-je.
– Y a pas de quoi. Allez viens, il faut qu'on la rattrape.
Caleb m'attrapa par le poignet pour m'aider à marcher à une allure plus rapide mais, bientôt, sa main glissa sur ma peau blanche, nos paumes se rencontrèrent et nos doigts s'entrechoquèrent. Le brun frissonna imperceptiblement et s'apprêta à retirer sa main quand je la serrai avec la mienne. C'était comme si je venais de sceller une promesse, celle de tout recommencer à zéro avec lui. Je ne pouvais décemment plus vivre au passé.
– Beth s'est arrêtée, déclara-t-il brusquement.
Je levai les yeux devant moi, cherchant l'ancienne blocarde du regard. En effet, elle avait cessé de marcher et était plantée quelques mètres devant nous, fixant quelque chose à l'horizon. Je parcourus les quelques mètres qui nous séparaient et, détachant ma main de celle de Caleb, l'interrogeai:
– Qu'est-ce qu'il y a?
– Il y a un truc qui va pas. J'ai un mauvais pressentiment.
– Tu as vu l'endroit où on est en même temps? En plein désert guettés par des fondus et livrés à nous-mêmes. C'est normal de se faire du souci.
– Bien sûr, je le sais, mais c'est autre chose. Comme si je sentais une présence humaine...
– Un fondu est un humain, remarqua Caleb, sans oser croiser mon regard.
– Un humain avec un semblant d'humanité qui n'est pas cannibale, dans ce cas!
Je me reculai instinctivement d'un pas face à sa réaction brusque et démesurée. Je me repris aussitôt et tentai d'éclaircir la situation:
– Si je comprends bien, tu sens une présence humaine dans les parages. C'est peut-être les filles ou les garçons de mon bloc, tu ne crois pas?
Beth haussa les épaules, résignée.
– Peut-être bien. J'en sais rien à vrai dire, j'ai cru que...
– BAISSEZ-VOUS! hurla soudain Caleb.
Il se jeta sur nous pour nous plaquer au sol. Au même moment, une balle siffla au-dessus de nos têtes, à l'endroit où nous nous trouvions l'instant précédent.
– On n'était pas seuls, tu avais raison. Bon instinct, concéda-t-il à Beth.
Par chance, nous nous étions dissimulés par une voiture abandonnée pas loin de là. Nous attendions depuis quelques minutes déjà et plus aucune balle n'avait été tirée de nouveau. Le WICKED n'était quand même pas à nos trousses pour Caleb? Quand bien même, c'était Beth et moi qui étions visées et non lui.
– Qu'est-ce qu'on fait? Il va bien falloir qu'on bouge d'ici. On doit avancer, assurai-je, déterminée.
– Pour se faire tirer dessus? Pas question, protesta Caleb.
– Si on attend ici, il finira par revenir nous achever si les fondus ne le font pas. On doit partir. Dans le pire des cas, on se rend. S'il a réussi à aussi bien viser, c'est qu'il a assez d'esprit pour ne pas nous tuer à la seconde où on sortira.
– C'est pourtant ce qu'il a essayé de faire tout à l'heure.
– Il voulait peut-être que l'on sache qu'il est là, que l'on se sente vulnérables. La solution c'est pas de prendre ses jambes à son cou mais de l'affronter. On n'est pas des trouillards et on sait se battre.
– Emilie a raison, confia Beth. Je ne suis pas une mauviette, j'ai affronté les griffeurs alors je peux très bien affronter ce foutu tireur. D'ailleurs Caleb, c'est toi qui nous a prévenues qu'il allait tirer. Tu l'as vu?
– J'ai vu le reflet d'une arme avec le soleil.
– À quel endroit exactement?
– Derrière une voiture, à une dizaine de mètres je crois.
Je hochai la tête, élaborant un plan dans ma tête. Nous devions essayer de nous rapprocher de lui le plus possible puis lui sauter dessus sans qu'il ne s'y attende. Je décidai d'examiner l'endroit où nous étions afin de trouver des objets derrière lesquels se cacher. Il y avait heureusement une autre voiture derrière laquelle nous pourrions nous dissimuler.
– Suivez-moi, leur ordonnai-je.
Ils ne lâchèrent pas le moindre mot et se contentèrent de marcher sur mes traces. Je progressai à quatre pattes, estimant la traversée plus simple de cette façon. Je parvins derrière la fameuse voiture, bientôt rejointe par les deux autres. Je les briefai:
– Je pars devant. Je veux que chacun de vous passe par un côté de la voiture. Beth par la droite et Caleb par la gauche, je passerai par-dessus. Il sera piégé de la sorte.
– Compris.
Je sortis à découvert et me rapprochai lentement du véhicule derrière laquelle devait se cacher le tireur. J'aimais me retrouver aux commandes. Je ressentais ce sentiment de supériorité, d'intelligence que je savourais déjà par moments au bloc.
Une fois devant la voiture retournée sur le côté, je m'arrêtai dans ma lancée et me tournai successivement vers Caleb et Beth. D'un hochement de tête, je leur fis comprendre que je donnerai le départ. Je comptai avec mes doigts: un, deux... trois!
Je bondis par-dessus le véhicule tandis que mes deux compagnons attaquaient sur les côtés. J'atterris directement sur l'auteur de la balle qui avait failli me tuer. Caleb se saisit de son arme de pointe – je n'en connaissais pas le nom mais ça ressemblait à une espèce de fusil – et la pointa vers l'homme.
Celui se trouvant sur le ventre, je demandai à Beth de le tourner sur le dos pour découvrir son identité. Au moment où son visage fut révélé, je poussai un cri de stupeur:
– Toi!?
▬▬▬▬▬
Merci d'avoir lu <3
– Bisou mes griffeurs ♡