Mise au défi
Les mois passèrent et mine de rien, deux années s'étaient écoulées. La vie s'envenimait doucement mais sûrement. De près, on ne s'en rendait pas vraiment compte mais lorsqu'on s'éloignait d'un pas, on pouvait voir la totalité de la chose, c'était dégueulasse.
Nous avions réussi à survivre deux années, difficilement, mais nous avions quand même réussi. L'année suivante, tout est monté crescendo.
***
C'est ma dernière année de licence de droit. J'ai choisi le droit tout simplement parceque c'est une matière pluridisciplinaire, j'aime bien cela et aussi parceque je suis nulle en maths et en sciences.
Ça me demande beaucoup de travail parcequ'il y'a beaucoup de matières et que c'est intensif. Je me dois d'avoir d'excellentes notes pour pouvoir obtenir une bourse et intégrer l'université de Nottingham au Royaume-Uni. En temps normal, jamais je n'aurais pu m'offrir un master là-bas cependant, ils proposent des bourses qui couvrent tous les frais des étudiants qui parviennent à y accéder. C'est très compétitifs et seuls les meilleurs sont choisis. Je me dois d'en faire parti.
Comme d'habitude, j'arrive trente minutes avant le début des cours. Je me dirige à la bibliothèque de l'école et relis mes notes.
- Salam !
- Salam Aleykum Driss. Pourquoi t'es aussi en avance aujourd'hui ?
- Je ne sais pas... Je me demande comment tu fais pour te réveiller à 4h tous les jours. T'es une machine ?
Je rigole en avalant une autre gorgée de mon café.
Idriss ou Driss comme je le surnomme est mon seul ami ici. Il est nigérien mais sa famille est en France. Ce n'est pas réellement un travailleur acharné comme moi. Il se contente juste d'avoir la moyenne. Sa famille est très aisée financièrement, il ne se soucie pas de l'avenir.
- Je suis fatiguée Driss, laisse-moi, lui dis-je en haoussa.
Malgré le fait qu'on ait quitté le Niger il y'a des années, je n'ai toujours pas oublié leur langue.
- Je t'emmène manger après les cours ?
Il me regarde fixement, guettant ma réponse.
- Tu sais bien que je dois réviser, les examens sont pour bientôt...
- Tu travailles trop Sumaya ! En plus de cela, tu es déjà la meilleure élève de cet école. De quoi as-tu peur ?
- Je ne sais pas.
- Allez !
- D'accord.
Il sourit de toutes ses dents. L'alarme retentit, c'est l'heure d'aller en classe. J'ai droit constitutionnel en premier.
***
Ma journée à l'école s'est terminée à 17h. J'ai juste eu le temps de faire ma prière avant de suivre Driss dans sa voiture.
- On va où ?, demandais-je après m'être installée.
- Où tu veux aller ?
- Peu importe, l'essentiel c'est de manger. Je meurs de faim !
- Lol !
Il démarre la voiture après un bref instant de réflexion. Pendant un moment, j'étais concentrée sur le paysage, perdue dans un océan de pensées.
- Comment va ta mère ?, a-t-il subitement questionné.
Il était au courant de ce qui ce passait chez moi. Je me confiais souvent à lui vu que c'était l'une des rares personnes à qui je faisais confiance.
- Aussi bien qu'elle pourrait aller...elle essaie de se relever mais c'est dur.
- Tu sais que je suis là pour toi n'est-ce pas ?
- Je sais Driss mais je ne veux pas non plus te gaver avec mes problèmes.
- Ne dis pas n'importe quoi !
Les problèmes se succédaient et ça m'exténuait. Notre vie était devenue morose. Déjà de base on était pas très collé à nos proches que ça soit du côté maternel que paternel. Ils ont mieux à faire je suppose. Mais maintenant que mon père a une autre famille, nous sommes livrées à nous-mêmes.
Khadija est au Canada depuis deux ans. Elle travaille là-bas et économise de l'argent pour que maman et Amina puisse la rejoindre. Nous n'avons plus rien ici, rien ne nous pousse à rester.
Driss m'avait emmené dans un restaurant en centre ville, ensuite il m'a ramené chez moi. Je l'ai remercié avant d'entrer dans mon immeuble. Nous vivions dans un appartement au rez-de-chaussée. Elle nous appartient donc heureusement, nous n'avons pas de frais de loyer à payer.
Je me dirige directement dans ma chambre, retire mon hijab et me change avant de me faire une tasse de thé. Amina était seule au salon.
- T'as mangé ?, lui demandais-je en m'asseyant sur le canapé en face.
- Oui, j'ai réchauffé le yassa d'hier et j'en ai apporté à maman.
Ma mère avait une petite épicerie non loin de la maison. Ça lui permettait de s'occuper et de gagner de l'argent plutôt que de rester toute la journée sans rien faire.
- Hum...c'est bien. Je fais quoi pour dîner ?
- Ce que tu veux, j'ai pas faim. Tu devrais plutôt réviser ton examen. Maman compte sur toi pour obtenir cette bourse.
Elle m'a mis la pression en une seconde !
Je soupire et me redirige vers ma chambre, sachant qu'elle avait parfaitement raison. Amina, du haut de ses seize ans, est une enfant très mature, parfois plus que moi. Elle a un caractère similaire au mien, c'est-à-dire dure, introvertie et calme. Toutefois pour ceux qui apprennent à nous connaitre, nous pouvons être enjouées, excitées et joyeuses.
J'avale d'une traite le thé restant et commence mes révisions. Plus qu'un mois et demi avant la fin de l'année, plus qu'un mois et demi avant mes examens finaux. Ça passe ou ça casse...
Je suis Sumaya.
Ma mère m'a donné ce prénom en hommage à son arrière- arrière-grand-mère qui était indienne. Je sais, dure à croire mais c'est la vérité. C'est peut-être pour ça que je suis autant passionnée par l'Inde.
Je vais avoir vingt-deux ans en septembre. Je vis avec ma mère et ma petite sœur Amina. Cela fait plus d'une année que nous n'avons pas vu mon père. Il est en ce moment au Sierra-Léone avec sa deuxième femme et leur fils d'un an. Il se contente juste de nous envoyer de l'argent par mois pour nos dépenses. Je n'ai pas trop envie de le voir je pense.
Je suis assez petite de taille, un mètre soixante-quatre. Je ne suis ni mince, ni ronde, disons que je suis entre les deux, le côté pulpeux en plus.
Je suis polyglotte. Je parle couramment le wolof, le français, le haoussa et l'anglais que j'ai appris toute seule. Je suis en train d'apprendre l'espagnol en ce moment. L'excellence ne doit pas être un but mais plutôt un mode de vie.
Nous sommes musulmanes et pratiquantes. Nous portons toutes le hijab à la maison. C'est notre identité. L'Islam est ce qui me définit le plus.
La solitude est mon amie la plus fidèle. Elle au moins, elle ne me trahira pas.
***
Je monte les escaliers en courant parceque pour la première fois depuis le début de l'année, je suis en retard. Mon réveil n'a pas sonné. Je me suis donc réveillée à sept heures au lieu de cinq heures.
J'arrive à ma classe et toque à la porte la boule au ventre.
Madame Sy, ma professeure d'histoire du droit, ouvre la porte.
Cette femme m'a toujours détesté, j'ignore pourquoi. Elle a toujours été très exigeante avec moi, plus qu'avec les autres.
- Sumaya ?
- Je suis vraiment désolée madame, j'ai eu un petit soucis...
- Tu es en retard Sumaya !
Elle regarde la montre accrochée à son poignet et me fixe ensuite.
- Je ne peux pas te laisser entrer.
- Quoi ? Mais...ça ne se reproduira plus madame je vous en prie !
Elle continue de me fixer durement et s'écarte finalement pour me laisser entrer.
Merci ya Rabb !
Je prends place près de Driss qui me fait de gros yeux.
Cependant, j'ai à peine eu le temps de sortir mes affaires que le directeur fait éruption dans la salle.
- Sumaya ? Prends tes affaires et suis-moi.
Je fais ce qu'il me demande très embarrassée par les regards que me lançaient les autres élèves. Déjà qu'ils me trouvent tous bizarre...
Après avoir ranger mes affaires à la va-vite, je suis le directeur dans son bureau. Il referme la porte et me demande de m'asseoir.
- Tout va bien monsieur ?
- Écoute Sumaya, je ne sais pas ce qui se passe mais les mensualités des trois derniers mois n'ont pas été payées...
- Quoi ?
- Tu es la meilleure élève de cet école, c'est pour cela que j'ai décidé de t'accorder un délai d'une semaine pour verser la somme attendue. Dans le cas contraire, le conseil va malheureusement devoir t'expulser.
- Les examens sont dans trois semaines, je ne peux pas rater des cours maintenant.
- Je suis vraiment navrée Sumaya mais c'est le règlement.
J'ai pris mon sac et suis lentement sortie de la pièce. Je ne comprenais pas comment c'était possible. Mon père transférait l'argent de ma scolarité tous les mois à l'école alors comment est-ce que j'ai pu avoir trois mois d'arriérés ?
Si je ne passe pas les examens finaux, je peux dire adieu à ma licence, ma bourse et mon rêve d'aller étudier au Royaume-Uni.
Doucement, mes yeux s'embuent et mes joues se mouillent. J'ai vraiment l'impression que la vie s'acharne sur moi.
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