28

130 12 11
                                    

Il est presque minuit. La maison est silencieuse depuis quatre heures. Eleanore est chez mes parents jusqu'à samedi midi. Ce sont eux qui la reconduiront ici. Je ne veux surtout pas qu'elle soit présente demain à la mairie. Cela ne sert à rien à part peut-être la dégoutter du mariage si un jour elle l'apprend pourquoi son papa et sa maman se sont « mariés ».

Je fronce les sourcils en relisant la même phrase pour la troisième fois. Je secoue la tête de gauche à droite en me mordant la lèvre du bas, et la supprime du traitement de texte. Je peux faire mieux. Here With me de Dido résonne dans la pièce pendant que je continue à écrire mon nouveau chapitre.

« Là où la vie avait été joie et bonheur reste maintenant que la tristesse et le désespoir, reste maintenant que le malheur et l'horreur. Je n'avais que dix ans lorsque ma mère est partie pour ne plus jamais revenir, rêvant d'une gloire internationale, rêvant de fortune, rêvant de belles toilettes. Elle est partie pour toujours me laissant seule avec mon petit frère de quatre ans et mon père. Ce père qui passe son temps à boire, et à se plaindre, qui passe son temps à pleurer une femme qu'il a tant aimée.

Partout où je vais, je vois joie, bonheur, rire dans ces familles si différentes de la notre, si différentes et pourtant, à présent si semblable dans les cris, et dans la peur.
Car oui, le jour que nous redoutions tous
est arrivé, nous sommes en guerre, nous ne sommes plus libres, nous sommes en train de souffrir de la faim essayant de survivre à nos bourreaux qui se moquent de nos malheurs.
Mes seize ans n
e sont pas exactement ce que j'ai souhaité le plus au monde, j'aurais voulu être comme toutes ces adolescentes des romans que j'ai appris à lire grâce à madame Giles, mon institutrice. Trouvé mon prince charmant, être cendrillon. Vive dans l'opulence et le luxe sans me soucier du lendemain. vivre heureuse et attendre mon prince charmant, et me marier.
La guerre est là, emportant avec elle nos vains espoirs de liberté, nos espoirs de revivre un jour heureux. Personne ne pourra nous délivrer de ce destin funeste ! L'histoire parlera sans doute de nous un jour mais serons-nous là pour raconter la raconter ? Serons-nous là pour rappeler aux prochaines générations ce que cela fait de devoir se cacher dans une cave dès qu'une horrible alarme résonne dans la ville ? Serons-nous là pour nos souvenirs ?
Beaucoup de gens parlent, ou plutôt chuchotent car parler est trop dangereux à notre époque. Ils murmurent que les anglais sont en route, que les anglais vont venir nous délivrer. Mais où sont-ils ? Que font-ils ? ... »

Je sélectionne le texte et appuie sur la touche suppr. Je n'arrive à rien ce soir !Je quitte l'écran des yeux et m'avachis peu élégamment sur ma chaise de bureau en me frottant les yeux des deux mains. Pendant que Dido chante l'amour, je ferme les yeux. Doux souvenirs, tendres souvenirs. Les miens ne sont ni doux, ni tendres. Ce sont simplement des souvenirs que j'ai enfuis dans une petite boite bien cachée dans mon cerveau.

Je grogne en fusillant l'écran des yeux. Peine perdue, je sais que je ne vais pas réussir à écrire aujourd'hui. Cette discussion avec Alexander a fait ressurgir ces souvenirs que j'ai tentés avec force de refouler, le plus loin possible. Et pourtant, ils sont là et me narguent depuis deux heures. Je hais Alexander Wills. Pourquoi fait cela ? Pourquoi me fait-il douter de sa capacité d'acteur ?

Célébrité et ConséquencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant