Chapitre V - Interlude - Mémoires de Kjafar

21 3 2
                                    

Jour I – Première heure de l'aurore

Dans ma grotte sombre et humble pointent les premiers traits roses de l'aube. Je me lève et me prépare au voyage. J'irai cette fois vers l'est. Je traverserai les steppes perforées de mon pays. Je surmonterai les flots qui me séparent des côtes de Priserme. Je marcherai dans les plaines fertiles de cette terre avant de traverser cette grande forêt de sapins géants. Puis ce sera l'heure.

Jour V – Dernière heure du zénith

Je viens d'arriver sur l'autre moitié du continent. Je suis déjà allé vers le sud et le sud-est. J'ai déjà remonté ma terre pour visiter Fjek, et les crocs des monts Erg. Mais jamais je n'avais franchis ce fleuve. Cette balafre bleue et verte d'ont on peine à imaginer la largeur et la profondeur. Avec une perche de cinquante mètres, je n'ai pu atteindre le fond du fleuve Logias. Dans le crépuscule tombant, je peux apercevoir, loin vers le nord-est, le cours sinueux de la Nâar. Vers le sud-est, dans la pénombre délicate, brille le lac Kaher ; cette vaste étendue d'eau vierge, sans île, sans rien. Juste des eaux réputées pour leur pureté et leurs vertus curatives.

Jour VII – Première heure de l'aurore

Nous arrivons enfin à la lisière de la forêt de Saïsi. Deux grands chênes marquent l'entrée du territoire. Derrière s'étendent des kilomètres de frênes et de châtaigniers. Le soleil est un disque flamboyant au-dessus des cimes. J'étais accompagné d'un guide. Son nom était Julfric. C'était un des très nombreux fils de Deldogan, le souverain qui s'était marié dix-sept fois et avait eu plus de soixante enfants. Que des fils. Grâce à leurs mariages, il avait acquis le contrôle de toute la partie nord du monde. Son empire s'étendait du Nâar jusqu'à la mer et s'arrêtait aux rives du lac Kaher et du fleuve Logias.

Julfric s'était marié avec Maeva, la fille du roi des elfes de Saïsi. Elle était réputée pour être sublimissime. Malheureusement, personne ne l'avait jamais vue car les elfes vivaient souvent reclus dans leurs forêts. Ce mariage était un pur miracle. Au regard que Julfric me lança alors que je m'approchais, je compris que m'a réputation m'avait précédée, m'ouvrant la voie de cette forêt hermétique et m'évitant un détour de plusieurs semaines.

Jour VIII – Dernière heure du zénith

Le palais de la reine Maeva est sublime. D'énormes troncs de bois brut sculpté forment autant de clochers et de tours peintes de couleurs bariolées. Je suis ici, sur un lit humble, selon les critères des elfes. Pourtant, cette couche et cette chambre sont les plus grandes, les plus luxueuses et les plus confortables qu'il m'a été donné de voir. La reine m'a accueilli, elle m'a ouvert sa bibliothèque en souriant. J'ai pu, avec respect, me nourrir de savoirs oubliés que maîtrisait autrefois mon peuple. J'ai diné d'un banquet royal où j'ai côtoyé des princes sublimes et des clochards heureux. Là-bas, tous se côtoient, tous se parlent, sans distinction de classe sociale. Malgré leur pauvreté, les elfes sont plus forts, plus beaux et plus intelligents que n'importe quel érudit : une enfant de sept ans m'a battue aux devinettes et aux échecs dans la même journée. Il ne lui a pas fallu une heure pour accomplir ce qui serait un exploit dans le monde humain. Julfric m'explique qu'il m'accompagnera jusqu'au sommet des montagnes de Saïsi. Une fois que nous passerons sur l'ubac, je serais seul.

Jour X – Septième heure du crépuscule.

La lisière de la forêt est désormais toute proche. Notre campement est installé sur les flancs des Montagnes de Saïsi. Selon Julfric, nous sommes à mille-sept-cents mètres au-dessus de la mer. L'endroit est d'une beauté stupéfiante. Les feuillus laissent place à quelques résineux. L'herbe humide sous la tente sert de tapis moelleux pour nos nuits tandis que le soleil de l'adret illumine la clairière où nous nous trouvons. Un vent froid descend des sommets enneigés mais notre feu est bien suffisant pour un troglodyte comme moi. Quatre heures après le réveil, je marcherai seul vers le lac de Saïsi.

Chroniques de la Mâ - Partie 1/Les paladins de BhaldërusWhere stories live. Discover now