Chapitre III - Partie 4

27 0 0
                                    


La chair molle commença alors à s'enrouler autour du jeune homme. Il se mit à hurler affolé et désarmé. Le poil hérissé, Dahran mordait et griffait les membres morts l'empêchant d'accéder à son maître. Maître Tristan, voyant que la situation se dégradait, fit un signe à tous les meutiers. Ils s'écartèrent du ventru, s'agenouillèrent en ligne et commencèrent à psalmodier d'une voix lancinante :

« Depuis la nuit des temps veillant

Tapie dans l'ombre des grands

Värlina, louve mère

Que ton esprit de fer

Protège tes enfants.

De ce lieu oublié par les ans

Nous te prions, fille de Vär-Gul :

Viens, aide, sauve et apaise. »

Répondant à leur appel, une immense louve blanche éthérée surgit de l'ombre et fondit sur le ventru. Elle traversa Thomas mais percuta le monstre avec une force incroyable. Le jeune homme fut projeté aux pieds de son maître tandis que l'âme de Värlina déchiquetait la chair flasque de l'abdomen du ventru. Soudain, cette chair disparut entièrement et la brume se brouilla en formant un immense colosse qui renvoyât Värlina d'où elle était venue. Le colosse esquissa un sourire carnassier et tonna :

« Pauvres humains naïfs. Votre heure est bientôt venue. Vous ne pourrez rien faire, quand vous vous rendrez compte de l'ampleur de ce que j'ai fait. Je tiens ma vengeance. Ce monde n'en a plus pour longtemps. » Sur ce, la brume explosa dans un cri strident qui fit s'évanouir Thomas.

*

Ukhund marchait derrière ses compagnons buveurs, guidés par la forte lueur rouge de la Mâ, au loin. Les tunnels qu'ils empruntaient étaient condamnés depuis presque un siècle, ils devaient donc sans cesse enlever d'énormes toiles d'araignées de leurs vêtements et de leur barbe. Mâel continuait à psalmodier à propos de la Mâ mais, à vrai dire, personne ne l'écoutait. Les vingt-et-un nains se posaient des questions à propos de Garold, de la Mâ, de Mâel... de tout. Mais ils plaisantaient quand même.

Ça faisait deux jours qu'ils avaient quitté leur crypte et qu'ils marchaient dans ces tunnels sombres. Deux jours sans jamais boire et manger. Les couloirs étaient tantôt de pierre brute couverte d'humidité et de plantes lugubres, tantôt dallés aux murs sculptés de scènes de guerre. Ils tournaient, retournaient, comme un serpent infini lové au creux du monde. Ils passaient à côté de cellules inondées aux portes rouillées ou sur de très fins ponts de pierre au-dessus de crevasses sans fond.

Soudain, toute la troupe s'arrêta. Mâel les fit s'asseoir dans une caverne légèrement plus grande que les autres et leur offrit eau et nourriture. La caverne était vaguement ronde. Le couloir d'où ils venaient se trouvait au nord de la grotte. Vers l'est, une grande crevasse balafrait le sol. Un unique pont enjambait la faille. Fait de fines briques de teintes variées encastrées les unes dans les autres, il formait un arc gracieux au-dessus du vide.

De l'autre côté de l'édifice, on distinguait des nervures régulières, rappelant un dallage, dans la pierre inégale. Des stalactites sculptées par l'Homme tombaient du plafond pour former d'élégants piliers vers la voûte lisse de la salle. Une fois que tout le monde fut rassasié, Mâel distribua les tâches. Ukhund fut chargé d'inspecter les lieux pour savoir si y installer un campement était judicieux. En cas de danger, Mâel lui fournit une escorte de guerriers de brume rouge.

Il traversa donc prudemment le pont et déambula dans la seconde partie de la caverne. De nombreux symboles étaient gravés au milieu de bas-relief à la peinture écaillée représentants la vie et l'histoire commune des nains et des gobelins. Il continua son exploration vers la seule autre issue du lieu. La petite ouverture ouvrait sur un pont trapu d'environ cinq mètres. Il reliait, à l'air libre, deux parties d'une immense montagne. Ukhund eut le souffle coupé lorsqu'il déboucha sur l'édifice. D'un côté le pont offrait une vue dégagée jusqu'à l'extrémité nord du lac Kaher. De l'autre, on pouvait facilement apercevoir les grandes montagnes rouges qui surgissaient du désert sur la terre des Tykatys.

Il traversa lentement le pont et découvrit une nouvelle grotte tout aussi grande mais plus nettement divisée : un torrent fougueux surgissait de la roche pour se jeter au bas d'une falaise de vingt mètres. Un escalier étroit courait le long de la roche abrupte.

Ukhund retourna alors voir Mâel. Il s'inclina devant son maître et dit humblement :

« Maître. Puis-je faire mon rapport.

- Hum ? Ah ! Oui ! Vas-y.

- Hors de la caverne principale se trouve un pont qui offre une vue dégagée du lac Kaher jusqu'aux montagnes brunes. Ensuite il y a une petite avancée avant une grande falaise.

- Hum. Deux points stratégiques, dit le pantin de la Mâ d'un air pensif, deux issues facilement défendables... N'a tu rien d'autre à me dire ?, reprit Mâel en haussant un sourcil sous son capuchon rouge sombre.

- Non... Ah si, se rattrapa Ukhund, d'étranges glyphes sont présentes sur des fresques de l'autre côté du premier pont.

- Ah ! Merci, euh... Ukhdun ?

- Ukhund...

- Ah oui, Ukhund... Va aider les autres. Demande-leur. »

Sur ce, Mâel tourna les talons et se dirigea vers ce fameux premier pont, faisant tournoyer sa cape rouge bordeaux au passage. Lorsqu'il trouva la première fresque. Il sourit puis écarquilla les yeux. Les bas-reliefs retranscrissaient avec une précision stupéfiante l'histoire du royaume perdu de Brâldur. « Ainsi c'est là qu'on se trouve » pensa Mâel « C'est dans cette forteresse que s'est achevée la guerre des races, non ? » Brâldur. Fierté des gobelins et des nains. Trolls, Rénégats, peuples du désert et Dragons avaient mis presque mille ans pour prendre ce royaume. « Nous sommes à l'abri, ricana Mâel, si les meutiers arrivent à nous trouver, encore devront-ils nous déloger ! » Il éclata alors d'un rire dément.

*

13 Septembre 2177 après Theobran

Qe'ti marchait sur la route qui menait au palais. De Joiniaburg, elle partait vers l'est, serpentant au milieu des plantations de café et de riz. Quelques collines ponctuaient le paysage des cris du bétail. Le serpent de dalles glissait le long d'un ruisseau au milieu des collines, gravissant peu à peu le palais. Celui-ci était une ville à lui tout seul. De nombreuses bâtisses étaient suspendues contre la principale. Celle-ci était une énorme tour de forme étrange d'où partaient différents ponts vers d'autres bâtiments, formant un gigantesque complexe royal.

Qe'ti marchait tranquillement en sifflotant, accompagné de son habituelle escorte d'une quinzaine de soldats surentrainés. Lorsqu'il arriva devant l'enceinte ocre démesurée, il fut frappé par le calme qui y régnait. D'habitude, les gardes étaient plutôt plaisantins. Mais là, seules quelques unités d'élite gardaient le lieu, debout, droits sur le chemin de ronde, l'air alertes. Troublé, le jeune prince entre doucement dans la résidence familiale et compris soudain l'origine du silence.

Chroniques de la Mâ - Partie 1/Les paladins de BhaldërusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant