Pardon ?

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"Ce que tu donnes est à toi pour toujours, ce que tu gardes est perdu à jamais". Eric Emmanuel Schmitt.

Je lui expliquai mes difficultés à me faire aimer d'elle.

Jamais je n'ai utilisé le "tu" accusateur, le "tu" qui tue.

Elle le prit mal, très mal, mais tant pis, je n'avais plus le choix. Je ne voulais pas me laisser assaillir, replonger.

Je ne supporterai pas d'être tourmentée à nouveau, je devais aller "au bout" de mon chemin, quelque soit le prix à payer, quelques soient les détours, les écueils, les murs auxquels je me heurterai.

Je payerai cher, très cher.

Son silence dura des mois, mais cette "coupure", une de plus, m'était vitale. Puis un jour elle "pardonna". Me pardonna ! Mais je n'avais rien à me faire pardonner !!!

Fonctionnement familial que j'avais vécu toute mon enfance. Le "demande pardon à ta mère" était ancré dans la famille.

Lorsque le martinet cinglait mon corps je devais en plus lui "demander pardon" après, et tant que je n'avais pas prononcé ce mot "salvateur" à son endroit, elle restait muette, m'ignorant, niant mon existence. Terrifiant pur une petite fille de devenir "transparente" devant sa mère. Je ravalais en ma gorge nombre de fois la rage qui montait en moi, allait l'embrasser en prononçant le mot magique et chose incroyable tout rentrait dans l'ordre comme si rien ne s'était passé.

Traumatisant pour une petite fille dont les marques sur le corps restaient plus que dans mon esprit à cet âge là car j'étais "habituée" à ce martinet maudit mais presque familier, à l'entendre cingler et me brûler où il pouvait, sur mes jambes, mon dos, ma tête. C'était sans aucun doute sa façon à elle de m'aimer. En "travail" sur moi je m'apercevrais que chaque coup porté soit par elle ou par mon père à mains nues est bien inscrit en mon corps en ma peau, en mon âme et ce pour toujours et que certaines de mes qualités viennent de là, eh oui !

Accès à mère impossible.

Puis nous nous revîmes dans de meilleures conditions. Elle avait quelque peu changé à mon égard et je me sentais de ce fait "mieux". La missive n'avait pas été vaine finalement.

Mais ce n'était que le début d'un long monologue que je sortirai de mes tripes sur un divan pendant des années pour en "terminer" avec elle et "accepter" que c'était ainsi et balayer toute haine pour faire place à la reconnaissance à la gratitude qu'une mère mérite, mais à aucun sentiment destructeur.

Ce travail me permettra de l'atteindre elle si fermée, si muette, si inaccessible, au moment de sa mort. De la toucher avec mes mots et mes gestes simples d'obtenir ce fameux accès verrouillé depuis des années pendant sa maladie à l'âge de quatre vingt cinq ans, malgré tous les efforts que firent ma fratrie pour m'en empêcher. Elle me remerciera même d'avoir réussi à la faire sortir de l'hôpital en me disant: Tu m'as sauvée ! Je ne l'avais pas sauvée mais j'avais eu les paroles adéquates pour lui redonner vitalité momentanément, ce dont les médecins me félicitèrent. Pour arriver à cette fin de voyage il me fallut vingt années, je ne le regrette pas car au bout du périple « ma quête » je l'avais. Les mots "je t'aime" je les avais entendu.

Ma vie était à peu près "normale". Je travaillais, je rencontrais des gens charmants et intéressants, un peintre talentueux,  un vieux poète "oublié" avec qui j'avais sympathisé et dont la rencontre m'apportait beaucoup. Il m'encouragea à écrire ce livre d'ailleurs.

Bernard et moi ne nous étions pas revus depuis des mois. Ma colère s'était apaisée pour une raison bien simple: Entretenir rancoeur et amertume ne m'apportait aucune satisfaction. Il m'avait laissé faire ce chemin toute seule certes, devais-je lui en vouloir toute ma vie ou aller au delà ?

Je devais m'ouvrir aux autres encore plus, m'ouvrir à cette vie merveilleuse malgré mes cadenas autour de ma tête.

Une fête du Moyen Age eut lieu dans une ville proche, j'y étais conviée ayant travaillé dans ce lieu. Je pris le téléphone et l'appelait lui, mon mari, sans me poser de questions, pour le convier aussi.

Il accepta immédiatement. Il était malheureux je n'étais pas heureuse.

Vingt années étaient là ainsi que deux superbes adolescentes. C'est tout. Nous allâmes à cette fête, ni l'un ni l'autre n'avons abordé le sujet de "nous".

Nous avons vécu pleinement cette journée festive appréciant la joie communicative des autres qui nous entouraient . Nous étions ensemble mais un peu plus "neufs" du moins je le crus à ce moment.

Nous nous quittâmes en fin de soirée sachant que l'amour existait peut-être encore mais qu'il fallait le laisser ressortir avec une infinie délicatesse.



Un autre visageWhere stories live. Discover now