Adieu Papa

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"La vie est une partie qu'il faudra toujours perdre". Charles Augustin Sainte Beuve.

Mon père choisit de s'éteindre quand moi je commençais à peine à m'éveiller. Je lui ressemblais en bon nombre de points et agissais souvent comme lui. J'admirais son amour et la passion qu'il avait pour la vie et dont j'avais hérité avec joie.

Rescapé des camps de concentration, il se considérait en sursis et faisait de la vie une fête permanente, on pouvait dire de lui que c'était un "fêtard" avec tout ce qui va avec.

Il m'a transmis son originalité, cette vitalité en dehors du commun et sa rage de vivre, et surtout il "osait". Ce que certains peuvent appeler culot et dérangeait moi j'appellerai cela une audace hors du commun propice aux nouveautés et découvertes.

Comment pouvait-il être allongé inerte sur un lit de clinique lui qui n'était que vie ?

Pas lui, surtout pas lui !

La vie il la dévora, la brûla, la consommant sans modération l'entraînant relativement jeune à l'abandonner. J'avais aimé en lui ses excès, ses rires, sa façon de chanter et de danser à merveille. Virevolter avec lui en dansant un tango et j'étais au paradis. Il m'avait entraîné dans son tourbillon me faisant oublier "presque" sa violence. Le temps d'une valse et j'oubliais les coups qu'il m'avait portés enfant. Je n'avais aucune rancoeur vis à vis de lui: Je l'aimais tant et les gens aimaient son brin de folie que bien sûr j'avais cueilli moi aussi ! Evidemment que j'aimais mon bourreau, qui lui même avait été victime de coups de ceinture quand il était enfant.

Je poussais la porte de sa chambre dans cette clinique de ma ville natale et me retrouvais devant un pauvre visage décharné envahi par le masque de la mort. Je ne pourrai recueillir la dernière parole. Je restais près de lui et lui parlais malgré son comas profond tandis que ma mère assise au pied de lui était complètement muette car pétrifiée.

Il m'entendrait c'était sûr, cela ne pouvait être autrement, j'avais à lui parler, j'avais à "dire", j'avais à lui dire. Je devais encore lui susurrer à l'oreille tout mon amour, et que j'étais apaisée concernant le mal que j'avais subi, que je n'avais ni rancune ni haine et je me devais de le mener vers ??? Aucune idée. Mais j'étais là pour lui murmurer des mots apaisants, doux et berceurs.

"Dans quarante huit heures il sera décédé". J'entends encore les paroles du médecin au téléphone me faisant me précipiter à Paris car je tenais à être auprès de mon père et avait insisté pour que le médecin me dise la vérité.

"Nous croyons être affligés de la mort d'une personne, quand c'est la mort seule qui fait impression sur nous." Gabriel Sénac de Meilhan.

Cette phrase résonne si juste en moi.

Il ne sera pas seul pour ce départ je l'accompagnerai, perturbée que j'étais parfois par les hauts et les bas de cette fichue ligne verte que j'avais sous les yeux. Peut-être m'y accrochai-je plus que lui.

Puis soudain après de multiples caresses sur son visage l'appareil auquel il était relié  par un tuyau, n'émit qu'un faible son, très faible, trop faible.

Comment un écran à la lumière verte se permettait-il de diminuer son intensité lumineuse et sonore indiquant la vie ou la mort ? Comment était-ce possible ? De quel droit ? Qu'avait-il à voir avec mon père ? Ce n'était qu'un bloc de ferraille qui était en train de décider de la disparition de celui que j'aime.

Je restais à côté de lui, lui tenant la main, caressant encore et sans cesse son visage et l'embrassant pour lui indiquer le chemin de l'infini que je ne connais d'ailleurs absolument pas. Mais m'étant tant et tant perdue nombre de fois "symboliquement" j'avais une sensation de fluidité en lui servant de guide.

J'allais pas à pas l'emmener aux "portes" de quoi ?

Une infirmière entra pour me dire ceci: "C'est merveilleux ce que vous faites Madame, continuez ne vous arrêtez pas". A l'époque l'accompagnement dans la mort n'était pas très pratiquée.

Je lui disais que je ne savais pas ce qu'il voyait, ce qu'il ressentait mais que j'étais là près de lui pour "franchir" ce passage. Que c'était sans doute lumineux, qu'il allait être soulagé de la souffrance, apaisé sans peur, libre enfin. Qu'ensemble nous allions rejoindre ses parents, ses frères, ses amis et comme il aimait lever le coude, trinquer sans doute avec Jean Carmet que nous affectionnions particulièrement. Et aussi de ne pas oublier en arrivant de "valser" encore et encore pour fêter son arrivée dans ce nouvel endroit inconnu mais chaleureux.

Je ne savais strictement rien du chemin sur le quel il se trouvait. J'étais là oui très présente comme jamais je ne le fus je crois, tout doucement sans peur je l'emmenais vers la paix. Nous franchirons ensemble le seuil divin, ensemble nous serions toujours puisque je le retrouverai plus tard. Les paroles sans réflexion aucune, sortaient plus de mon coeur et de mon âme que de ma bouche.

Je ne sais plus combien de temps je suis restée près de lui "à dire".

Je saurai dix années après, grâce à "mon divan et moi" que le travail de deuil peut s'effectuer "avant" un décès, que malgré mes dix années de psychothérapie celui de mon géniteur ne sera  pas "bouclé" rapidement mais lentement, très lentement.

Le son et la lumière de ce fichu appareil aussi blanc que le visage de mon père, diminuaient de plus en plus. Tout était lent, mes gestes, ma respiration, la sienne. Ce ralenti allait au rythme de son coeur.

Pour la première fois de ma vie j'allais lire sur un écran: La mort.

Je lui caressais encore et encore le visage, ne m'arrêtais pas une seconde, sans doute pour lui faire comprendre que si sa main avait frappé mon corps  et mon coeur, la mienne ne lui en voulait pas.

Ce ne fut plus mon père, mais une ligne droite au son continu.

J'ai lâché sa main et j'ai déposé le "dernier baiser".

Son souffle s'est arrêté il était dans mes bras.

Je regardais sa bouche ouverte qui avait aspiré l'air avant, qui avait aspiré la vie.

Il ne "pleuvait pas sur Nantes" mais sur Paris.



Un autre visageWhere stories live. Discover now