Psychosomatisation

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"La vie qui crée le désespoir est plus forte que le désespoir ". Blaise Pascal"

Voilà, la meule de foin était entassée à moi d'y trouver l'aiguille.  Certains du groupe admiraient mon courage d'avoir abandonné les anti-dépresseurs. Ils auraient aimé faire de même mais n'y arrivaient pas.

Courageuse non,enfin c'est ce que je pensais à l'époque, pressée et prête oui. Je garderai jusqu'à la fin de mes jours l'image qui, pour moi, symbolise l'arrêt de ces médicaments. Voilà ce que je vis et vécu, se furent mes perceptions, les miennes j'insiste sur ce fait.

Avec les médicaments j'apercevais au loin un ravin suffisamment éloigné pour ne rien risquer. C'est en effet une forme de confort, de cocon, de refuge temporaire, d'apaisement bref une béquille, mais ils sont aussi et surtout un voile, un masque.

Sans eux j'étais au ras de la falaise en permanence et je regardais en bas avec le désir de me précipiter du haut de celle-ci.

L'alternative possible: Soit je me jetais dans le vide, et cela porte le nom de suicide, soit je me penchais pour voir ce qu'il y avait en bas, sans vertige, sans peur enfin presque, enfin non avec peur, effroi total.

J'avais choisi la deuxième possibilité car figurez-vous que je suis une insatiable curieuse et comme je vous l'ai déjà dit j'appartiens à la race humaine des "Fight", même si je l'ignorais encore.

Autant vivre avec un revolver sur la tempe.

La somatisation atteignait son paroxysme ! Ce qui suit fut ma réalité. Bien prétentieux celui qui détient "la" vérité entre nous soit dit.

Un matin, je me retrouvais avec le bras gauche complètement paralysé. Je précise que je suis gauchère, je me retrouvais avec l'usage du bras droit seulement et cette manifestation physique m'invalidait bien évidemment. Mais j'étais incapable de faire un lien quel qu'il soit avec quoique ce soit. J'étais dans l'obligation de subir puisque ce monde m'était inconnu, et je n'avais aucune connaissance dans le domaine de la psychosomatique. Donc pour les "autres" je ne pouvais être que foldingue !

Je devins muette également une journée entière faisant des efforts surhumains pour prononcer un mot en déformant ma bouche autant que je le pouvais mais j'étais dans l'incapacité totale d'articuler, moi qui étais bavarde j'étais plus qu'agacée et ne pouvais rien dire à mon psy.

Puis ce fut une jambe qui disparut, envolée, évaporée, plus de sensations plus rien ! Je m'amputais de toutes les parties possibles de mon corps. 

Un jour je saurai pourquoi.

Les hallucinations revenaient au galop, pas de répit, jamais.

Dans mon lit j'ai revu le petit chien que j'avais étant petite fille, mon plus précieux compagnon, mon confident, mon ami. Je pouvais le toucher, le caresser sauf qu'il lui manquait l'arrière train ! Même lui je l'amputais.

Je passais des nuits à chercher mes membres. Jamais je n'oublierai cette sensation d'absence "corporelle", de disparition, de non consistance, d'inexistence, d'évanescence.

Ou d'absence tout court ?

"Nul ne peut atteindre l'aube sans passer par le chemin de la nuit". Khalil Gibran

Comme je vous l'ai déjà dit j'avais un langage incohérent, mais ce qui était le plus frappant c'était le nombre de lapsus qui sortaient de ma bouche.

Cela déclenchait le fou rire de mes filles.

Je commençais une phrase et un mot surgissait de ma gorge venant s'immiscer au beau milieu de cette dernière la rendant incompréhensible ou comique. C'était irrésistible. La seule chose qui pouvait me faire sourire à l'époque était la mine moqueuse et rieuse de mes deux filles qui ne rataient pas de les souligner à chaque fois.

Si à ce stade de mon travail en psychothérapie je n'attachais aucune importance à ces lapsus à répétition, je puis vous certifier qu'en psychanalyse ce sera bien différent car le travail sur ces derniers est capital, mais j'étais bien ignorante de tous ces mécanismes à l'époque de mon incohésion plus que fréquente pour ne pas dire quasi permanente. Aujourd'hui je repense à mon entourage, à ce qu'ils ont vécu, vu, entendu, subi...Mais que faire à part "sauver ma peau" car c'est bien de cela dont il s'agissait.

Je vais quand même apporter une précision pour les personnes qui risqueraient d'être intéressées par ce que je narre et c'est pourquoi je me permets d'ouvrir une parenthèse.

La psychanalyse s'attache à l'inconscient. Jusque là tout va bien. Mais comment le déchiffrer, le reconnaître, l'étudier, le décrypter ? Comment se manifeste-t-il à nous ? Car il nous parle je vous le garantis, mais nous sommes bien trop occupés pour l'écouter. Eh bien moi j'avais les réponses avant de m'être même posées les questions (un peu de satisfaction tout de même de temps en temps non ?) à cause (ou grâce ?...là à ce moment précis de ma vie, je n'étais pas trop avec ce mot) de tous ces états par lesquels j'étais passée, mais l'ignorais toujours puisque j'étais au début de ma psychothérapie et non en psychanalyse encore. J'étais la madame Jourdain de ce pays "inconnu" appelé inconscient. Suis-je claire ?

Donc mon petit camarade l'inconscient se manifestait et se manifeste toujours par la somatisation, par les lapsus lenguae et auditifs et bien sûr les rêves. Je n'irai pas plus loin ce jour. Chaque chose en son temps donc je referme la parenthèse.

Pour l'instant à ce stade de mon récit j'étais "éparpillée" corporellement et sans aucun doute psychologiquement. Dans toute ce désaccord corporel et linguistique, seul mon visage était épargné pour la simple et bonne raison qu'il n'était plus vivant ni animé mais un roc.

La seule partie douloureuse ne disparaissait pas elle, aucune amputation à ce niveau là, décapitation devrai-je dire d'ailleurs. Malgré tous ces ressentis complètement insensés mais bien présents,  je gardais ma misérable tête sur mes épaules et mes pieds dans le sol, enfin presque !

Je haïssais ce faciès de toutes mes forces, enfin le peu qu'il m'en restait.


Un autre visageWhere stories live. Discover now