Le choc

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"L'homme est un apprenti la douleur est son maître et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert". Alfred de Musset

Les citations nous les aimons, nous les utilisons, inondant les réseaux sociaux, mais les mettons nous en application ou les vivons nous vraiment ? Rarement je crois , mais je peux vous dire que celle-ci je la vis depuis des années, des siècles... mot pour mot.

Je poursuis.

Aucun mouvement n'était possible. Ni l'inclinaison d'avant en arrière de la tête ni la rotation.

Je retrouverai l'amplitude de ces mouvements au bout de deux ans .

De grandes mèches de cheveux pleines de sang pendaient le long de ce qui ne portait plus le nom de visage.

A peine les touchai-je qu'elles tombaient, mortes dans ma main, tout comme une partie de moi-même.

Mon crâne était traversé par de très grosses agrafes mal disposées.

J'étais découpée en deux !!!

Il m'avait découpée comme une pomme et recollée, ou recousue ou raccommodée, si vous trouvez le bon mot dites le moi !

Mes yeux ne parlaient plus.

Je ne pouvais plus rien lire sur ce visage, ni étonnement, ni effroi, aucun muscle ne répondait.

J'étais de marbre.

Les jours qui suivirent me transformèrent en monstre interplanétaire.

Le visage se mit à enfler jusqu'à plus que doubler.

La bouche était étirée presque jusqu'aux oreilles, démesurée, figée dans un sourire menaçant incontrôlable.

Je passais par toutes les couleurs. Verte je fus, puis bleue, puis jaune....

"Ce sont de superbes oedèmes" dit le chirurgien que j'avais envie d'empaler.

J'aurais aimé lui faire ravaler l'adjectif "superbe" qui tombait vraiment fort à propos; de l'humour je n'en avais plus. "Il n'y paraîtra plus dans trois semaines, dormez assise et dans six mois votre visage sera définitif"ajouta-t-il sûr de lui.

Définitif, irrémédiable cela l'était hélas.

Avez-vous déjà essayé de dormir assis (se) ?

Je tiens à repréciser que j'avais choisi le meilleur chirurgien parisien, de réputation mondiale. Sa méthode était infaillible, copiée, son nom célèbre, ses disciples nombreux.

Il était âgé et prit sa retraite six mois après l'intervention au moment où j'aurais eu besoin de lui, il disparut.

Je le hais.

A ce jour les miroirs allaient pendant de nombreuses années devenir obsessionnels et mon désespoir grandissant.

Je me précipitais devant eux, attendant qu'ils me renvoient mon ancien visage.

Il ne se passait pas cinq minutes sans que je les interroge, mais aucun ne répondait à mon appel qui deviendra un cri que je dus étouffer longtemps, si longtemps, à jamais.

Je m'étais réfugiée chez ma mère en banlieue parisienne.

Je vivais à l'étranger à l'époque et avais effectué le voyage uniquement pour cette opération.

Le nid maternel était douillet, accueillant mais je n'y trouvais pas le réconfort que j'attendais pour la simple raison que rien ne pouvait me réconforter.

J'étais devenue un personnage de bande dessinée, de science fiction, je n'étais plus humaine.

Ma mère,elle, me trouvait jolie !!!!!!!!!!

C'était impossible mais en bonne mère qui se respecte elle essayait sans doute de me communiquer un amour auquel je ne répondais pas, parce que de toute évidence, elle mentait.

Plus le visage enflait, plus les coutures tiraient, prêtes à craquer...

Elles craquèrent.

Je vis ma joue se déchirer au niveau de l'oreille. Se déchirer comme du papier avec la même facilité.

Je n'arriverai jamais à exprimer ce que je pus ressentir à cet instant. Jamais.

Imaginez un visage qui s'ouvre sur les côtés et hélas plus tard sur le crâne.

Il n'y avait qu'au cinéma que j'avais pu voir ce genre de choses avec des effets spéciaux bien évidemment.

Là c'était réel.

Je me précipitais chez le chirurgien qui d'un ton égal, frôlant l'indifférence, propres aux grands pontes intouchables, me dit : "Ce n'est rien, vous n'aurez aucune séquelle ni marque, il suffit d'un peu de mercurochrome et le tour est joué !!!"

Non ce n'était pas rien ! Hurlais-je en moi même.

Allai-je éclater ? Allai-je me volatiliser (car je me sentais défaillir) ou allai-je le tuer ?

Il mentait c'était certain. En aucun cas il ne pouvait admettre son massacre, il était trop connu.

Son massacre ou celui d'un autre ?


Un autre visageWhere stories live. Discover now