Une femme

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"Quel était votre visage avant la naissance de vos parents ?" Jean Royer.

Jo m'avait initiée au Yi King, science divinatoire chinoise, étonnante, surprenante. Au point où j'en étais. J'étais ouverte à tout.

On m'aurait dit d'embarquer à bord d'une navette spatiale en partance pour une autre planète afin d'y cueillir la plante miraculeuse qui aurait soulagé ma douleur, j'aurais enfilé ma combinaison de cosmonaute immédiatement.

Pour ceux qui ne connaissent pas le Yi King: Se poser sa question en silence soi même, apprendre à décrypter l'oracle et essayer de mettre en application dans sa vie le résultat.

Enfantin ? Pas du tout.

Sous des aspects simplistes se cache une discipline draconienne et complexe qui demande une volonté terrible. J'avais cette volonté demandée.

En l'appliquant à la lettre et en suivant cette philosophie je m'aperçus qu'elle fonctionnait. Le Yi King m'aida beaucoup à ce moment précis de ma vie mais je dus travailler énormément pour l'apprendre, l'interpréter et surtout le mettre en application. Je réussis à force de ténacité à décrypter le ou les messages. Cette méthode m'apaisa en partie et surtout me détournait quelque peu de ma souffrance physique.

C'est alors que je reçus un courrier de Jeanine qui organisait un autre stage d'hypnose. Je décidais immédiatement d'y participer malgré l'effort financier demandé. L'argent est souvent lié à l'évolution d'un être humain, il y a forcément un prix à payer. Plus tard je comprendrai pourquoi en psychanalyse avec mon petit camarade Freud.

Je me remis en route pour Cahors afin d'y effectuer un deuxième stage d'hypnose. Nous étions en décembre et le brouillard épais symbolisait celui que j'avais dans l'esprit.

Je retrouvais Mylène, la cousine de Didier, les bras toujours aussi dévastés par les "shoots", et Michèle qui avait participé au stage d'août. Didier et Solange n'étaient pas présents. Je n'eus pas le "bonheur intense" de "décoincer" cette fois une partie de mon visage.

Mais sous hypnose, je me retrouvais en un tétard. Oui un tétard, j'étais tétard. Quelle sensation invraisemblable mais pourtant parfaitement vraie !

Je me revois ramper sur le sol, sans bras ni jambes, gluante, molle, visqueuse essayant encore de trouver une issue, mon issue. Je me mis à prononcer ces paroles: "Bonjour les filles, les filles, les filles", tel un écho. Je venais de perdre ma "carapace" en cet état, mon blindage, mon costume d'homme et je venais de renaître mais cette fois en femme, enfin en embryon de femme, un têtard de femme.

Pas encore la grenouille !!!

Femme portant culotte dit-on pendant plus de vingt ans, je venais de baisser mon pantalon, je me sentais entièrement nue. Sortie de l'état d'hypnose, je me sentais légère, j'avais besoin de protection, je me sentais capricieuse, je me sentais femme.

Toutes mes expériences, réussies ou pas m'ont à chaque fois permis de "vivre" des sensations uniques et nouvelles.

Mais pas si aisé de se retrouver aussi féminine, car le costume porté si longtemps, vous savez celui où on se sent si à l'aise parce qu'il a "épousé" votre corps, celui qu'on nomme "sa seconde peau", et bien j'avais qu'une envie, l'enfiler de nouveau sans même m'en rendre compte, tout simplement parce que je le connaissais très bien. Le nouveau, le fameux "inconnu" (qui dit inconnu dit peur quand même) et bien voilà, celui là il va falloir m'y glisser comme dans une paire de chaussures neuves qui font particulièrement souffrir. La marche ne sera pas aisée. Les premiers pas douloureux provoqueront des ampoules, qu'il faudra soigner, puis leur donner du temps pour cicatriser. Le pire sont ceux qui, dans votre sillage ne boiteront pas forcément comme vous,  ne marcherons certainement pas à la même vitesse.

Tant pis je les rejoindrai un jour, ou pas.

Bernard s'y perdra certainement ayant vécu avec une autre femme. Je n'avais pas complètement changé non plus, il restait de "l'ancienne".

J'avais trouvé ma place dans l'existence, du moins je le croyais, mais pas dans mon couple ou du moins ce qu'il en restait; Pas grand chose. Nos rapports après le stage avec Bernard se dégradèrent de jour en jour.

C'est à ce moment que choisit mon père pour s'éteindre, il était âgé de soixante neuf ans.


Un autre visageWhere stories live. Discover now