Eux

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"Par les larmes la douleur s'épuise et s'exhale". Ovide.

C'était Solange que nous appelions "la grande Solange" de par sa taille et en opposition avec une autre qui portait le même prénom mais toute petite, recroquevillée en permanence, chiffonnée comme fripée de partout.

La grande réussissait à nous faire rire souvent malgré elle. Son cas n'avait rien d'exceptionnel, même mal être que les autres mais de part sa gémellité elle était particulièrement confuse, plus que confuse: "Embrouillée" disait-elle.Nous n'avions jamais entendu un tel enchevêtrement de faits confus dans l'esprit de quelqu'un. Nous finissions tous par éclater de rire quand elle se lançait dans une explication. Car nous riions beaucoup malgré tout, mais cette fois je ressentais une différence. Mon rire n'était plus le même, il était vrai, ne remplaçait rien, et n'était pas celui qui se substituait aux larmes comme bien souvent. Non pas un rire de protection ou de dissimulation mais un rire clair, non forcé, sonore quelque peu mais sans plus, jaillissant de nos gorges telle une gerbe d'eau fraîche et réparatrice.

C'était aussi Jean Marie, belge et alcoolique, qui ne cessait de raconter des histoires drôles, lui servant de défenses, de remparts, lui évitant l'accès à son profond désespoir et de par la même à sa souffrance bien noyée dans l'excès de vin. Sa diarrhée verbale lui empêchait celle que lui provoqueraient ses propres terreurs. On se défend comme on peut pour survivre !

C'était la petite Solange qui avait un besoin incontrôlable de répéter sans cesse la même chose sans jamais rien résoudre. Une espèce de litanie identique à chaque fois sortait de sa bouche lui permettant ainsi d'occulter son état.

Et pourtant c'est bien dans la répétition que se trouve la solution, ceci je le découvrirai plus tard en psychanalyse. Nous ne faisons que répéter dans nos vies des schémas existants depuis l'enfance. Mais avant de changer ce fonctionnement faut-il encore reconnaître ces répétitions, les repérer...pas simple du tout !

Lorsqu'on est malade faut-il encore reconnaître de l'être, pour se soigner et se guérir ! Nombreux hélas sont ceux encore qui sont dépressifs sans le savoir ou qui refusent de le voir et qui utilisent tant d'écrans à leur mal être, quel dommage de passer à côté de ce qui peut vous aider à "être".

C'était Benoît, grand, fort, un vrai corps d'athlète, beau, élégant mais dont le mutisme était impressionnant et la dureté apparente quelque peu glaçante. Tout semblait glisser sur lui, rien ne semblait l'atteindre et pourtant sa blessure était bien là. J'avais l'impression que s'il ouvrait une vanne il se répandrait inanimé sur le sol.

C'était Isabelle, africaine, apparemment solide comme un roc, brisée en son coeur et son corps perclus de douleurs et de ce fait elle pouvait à peine se plier, se baisser, s'asseoir. Elle "était" douleur physique, tout comme moi.

C'était Didier, dont je vous ai déjà parlé et dont le charme nous hypnotisait tous. Il ne connaissait pas encore son homosexualité à dix sept ans mais elle se se révèlera  à lui un an plus tard grâce à un travail intense et poignant auquel j'assisterai avec une émotion particulière et duquel je n'étais pas complètement étrangère.

Et d'autres dont je ne me souviens plus des prénoms. Tous m'ont fait beaucoup rire et tous m'ont fait pleurer à chaudes larmes.

Chaque larme était du "trop plein" de l'enfance blessée. Chaque mot était "d'or" car contrairement au proverbe je crois désormais que la parole est d'or et le silence d'argent. Les non dits sont mortels et je le constaterai  tout au long de mon existence.

Tous sont en moi, je les aime profondément.

Parmi eux certains m'ont sauvé la vie, comme Isabelle.

Un autre visageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant