Refuge

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"Soyez à vous-mêmes votre propre refuge. Soyez à vous mêmes votre propre lumière". Bouddha

Bernard mon époux ne me comprit jamais mon état, aggravant ainsi ma tristesse lente.

Lui et moi avions nos habitudes à la plage, tous les week end nous allions dans une concession tenue par un ami libanais et son épouse française, qui disposaient de plusieurs paillotes. Nous avions donc notre paillote attitrée que nous louions pour deux jours. L'endroit dont le cadre était divin, un vrai décor de carte postale, était cosmopolite. Nous nous retrouvions entre Libanais, Européens de majorité française, Ivoiriens, Algériens, Marocains sans compter ceux qui, de passage en Afrique "les touristes" issus de tous les pays du monde venaient découvrir cet endroit de rêve niché sous les cocotiers.

Nous étions en moyenne une trentaine d'habitués, mais nous nous retrouvions parfois à cinquante et aux soirées festives souvent quatre vingt. Endroit de joie, de jeux, de fêtes, de danse, de convivialité, de discussions acharnées, d'échanges nombreux sans préjugé aucun. C'était l'endroit des rencontres et du partage. Tous de races, de religions différentes, "ensemble c'est tout".

Adultes, enfants, adolescents adoraient ce paradis sur terre , les pieds dans l'eau, à la plage sans fin et au sable brûlant sous un soleil de plomb. Le sport était roi ainsi que la sieste. Chacun, même les enfants qui formaient une bande joyeuse, avait totale liberté de vaquer à son loisir favori. Lecture, bronzage, baignade, jeux...

L'apéritif du samedi soir, quant à lui était sacré. Lorsque la nuit tombait (qui est redoutable en état dépressif) irrémédiablement toute l'année à dix huit heures, chacun regagnait sa paillote pour se doucher et apaiser sa peau dorée, chauffée et tannée par le soleil.

Dix neuf heures pétantes, un vrai rituel, la plus grand partie de pétanque commençait sous les rames des palmiers, à la lumière des spots fonctionnant avec un groupe électrogène, et surtout, notre hôtesse préparait un cocktail toujours assorti de merguez arrosées de jus de citron. J'ai d'ailleurs gardée cette recette qui étonne toujours. Une ambiance extraordinaire régnait: Imaginez avec toute cette diversité !

Evidemment me direz-vous, que rêvez de mieux ?

Mon mari recherchait bien sûr cette compagnie, que j'aimais et que j'appréciais tant, mais "avant". Dans mon état, la solitude m'était nécessaire voire vitale. Je souffrais de tout ce monde de ce "trop" de monde. Je n'avais qu'un désir, les fuir !

Deux années me seront nécessaire pour revenir vers eux. Oui cela faisait beaucoup de jours "seule" au bord de l'eau qui me tendait les bras. Auparavant je détestais la solitude et m'étourdissais sans même le savoir.

Les repas animés, voire fort bruyants étaient impossible pour mes oreilles avides de calme. Comment expliquer aux autres que j'étais incapable de partager leurs joies, leurs discussions ? Je n'expliquai rien et préférai rentrer à la maison ce qui déclenchait à chaque fois la colère de mon époux qui lui voulait rester, n'imaginant pas un seul instant que j'étais "malade". Nous ne faisions plus partie du même monde.

Ma solitude apprivoisée était devenue mon amie. Ma tour d'ivoire m'accompagnait: Je n'étais pas seule avec elle, bien au contraire. Nous étions deux "distinctes" en parfaite harmonie. Dame de paix et de repos elle me réconfortait et m'aidait à me reconstruire doucement, à me raccommoder.

Dans ma bulle de souffrance il n'y avait pas de place pour mon couple. Ma métamorphose perceptible maintenant lui devenait invivable, je n'étais plus celle que Bernard avait épousé auparavant, ni mentalement, ni physiquement d'ailleurs.

Je me réfugiais dans ma paillote pendant des heures, elle était momentanément ma nouvelle carapace ayant perdu la mienne. Terrée et solitaire je  dévorais quantité invraisemblable de livres. J'avalais tout ce qui concernait cette maladie, tout ce qui avait trait à la psychologie, tous les remèdes possibles, médecines légales ou parallèles, tous les auteurs ayant souffert ou traitant du même mal que moi, j'engloutissais des centaines de livres.

Un appétit colossal pour la lecture, que pour la lecture du reste puisque je ne m'alimentais quasiment pas. Je ne sais plus ce que je cherchais dans tous ces ouvrages, certainement la solution pour sortir de cet état, mais pendant que je les dévorais eux, au moins je ne me dévorais pas moi même. J'y trouvais une certaine sérénité et puis je me cultivais un peu plus chaque jour, ce qui ma foi ne porte pas préjudice.

Une quête effrénée mais vaine. Le remède n'étaient pas dans les livres mais en moi.

Je me sustentais de mots.

Dans les livres inertes je puisais du vivant.


Un autre visageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant