Un chien

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"Le seul charme du passé c'est qu'il est le passé". Oscar Wilde.

Une vitalité spectaculaire, une vigueur hors du commun,  montaient en moi, m'envahissant totalement. Si vous saviez l'immense bien être que je ressentais, jamais sensation ne me fut autorisée avant ce jour même avant l'intervention.

Ce n'était pas violent mais fait d'une douceur extrême, une brise paisible parcourait l'intérieur de mon corps. J'étais capable d'éprouver le "subtil".

Suite à cette nouvelle, la vie s'emparait de moi mais différemment "d'avant". J'étais réceptive à tout, particulièrement à la nature. Tous mes sens étaient réellement en éveil accueillant chaque once de vie.

J'ai puisé aux arbres leur vitalité, leur sève pour me l'approprier au cours de longues promenades solitaires, sans pensée parasite, sans réfléchir, pas de rationnel, en recueillant simplement par mes narines, mes yeux, ma peau et mes oreilles ce que la nature pouvait m'offrir.

J'avais "craqué" à mon retour en France pour un minuscule Yorkshire, choisi parmi trois autres car déposé sur mes genoux il n'en bougeait plus. Il voulait de moi. Pesant cinq cents grammes je l'avais mêlé aux peluches de mes filles sur leur lit avant qu'elles ne rentrent de cours afin de créer une stupéfaction totale. Ce fut fait. Leur joie fut immense. Ce chien m'accompagnera pendant quinze années de mon existence, me laissant seule le jour d'anniversaire de la mort de ma mère.

Il m'avait donné énormément, permis de trouver la force de marcher, au sens propre, de nouveau.

Absolument pas dressé, moi je l'avais été, donc pas question de lui faire subir le même sort, il ne pouvait imaginer quelle immense satisfaction il me procurait en léchant mon visage endolori. Chaque coup de langue pansait mes blessures et mes cicatrices externes et internes. Il m'apportait cet amour qui me  manquait, à chacun de ses petits coups de langue, enfin une satisfaction profonde et chaude.

De l'amour, plein d'amour une boule d'amour qui repose aujourd'hui sous un Deutzia blanc qui croule de beauté et les glaïeuls couleur soleil de mon jardin. Un peu comme dans un de mes poèmes préférés de Rimbaud: "Les pieds dans les glaïeuls, il dort...Nature, berce le chaudement".

La tendresse me manquait et je ne pouvais pas compter sur mon mari pour m'en procurer. Je compensais avec mes filles en leur disant: "Je t'aime" et je recevais en échange des ces mots l'étreinte et le bisou quémandé, quel bonheur ! S'en souviennent-elles ? Je l'ignore.

Je me réjouissais du quotidien pourtant banal, me nourrissais d'un sourire d'un rayon de soleil. J'étais dans une sorte de béatitude de l'instant présent. L'autre, celle que j'avais été n'existait plus partiellement. Avec elle étaient morts mes désirs de compétition, ma course effrénée vers le pouvoir, vers l'inutile, ma quête de l'inaccessible étoile.

Je commençais mon travail un premier mai. Amusant non ?

Je réappris à m'habiller, à me maquiller particulièrement soigneusement sur les cicatrices que je dissimulais encore car je n'étais pas prête encore à présenter ce nouveau visage qui était définitivement le mien.

A qui ? Aux autres?

Bien sûr que non: A moi même.

Tous les matins, "il" était devant la glace, je dis "il" car toujours dissocié de moi, cet étranger que je parais du mieux que je pouvais, l'intrus que je n'acceptais toujours pas.

Tout changeait en moi.

Dans cette petite ville je ne connaissais personne et je me demandais: "Mon visage est nouveau, vont-ils y lire mon histoire ?". Comment faire "semblant" de ne pas souffrir devant les personnes que je croiserai ?

C'était un métier où j'allais rencontrer beaucoup de monde dans une journée et devais accrocher à ma face un sourire permanent. Je ne me forçais pas j'étais tellement heureuse de travailler. Un paraître amène était indispensable et m'enchantait.

Mais le soir quand je montais dans ma voiture, mon masque de fer intérieur s'imposait à moi.


Un autre visageWhere stories live. Discover now