Chapitre 21 : La Cité Universitaire

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Toujours accompagnée de Daniel, son professeur très particulier, Karine passa sous le porche de lianes cristallines qui constituait l'entrée principale à la Cité Universitaire. Il s'agissait d'une véritable ville, dont les bâtiments, élancés et majestueux, semblaient faits d'une matière végétale. Daniel lui expliqua que ce monde savait domestiquer les plantes et qu'un simple réarrangement moléculaire pouvait transformer des algues en de beaux et solides murs, façonnables à l'envi.

En progressant dans la cité, la jeune fille trouva rapidement de nombreuses autres utilisations des ressources océaniques de Ganymède : les escaliers étaient faits de coraux multicolores qui avaient poussé par strates régulières. L'eau, qui circulait un peu partout dans de petites canalisations courant de maison en maison, produisait une agréable fraicheur qui rendait l'atmosphère douce et sereine.

Les gens (si on pouvait appeler tous ces êtres bizarres que croisait Karine, des "gens") semblaient tous très calmes et détendus, se croisant et s'évitant sans le moindre signe de stress. La jeune humaine évitait pourtant de croiser leurs regards. À chaque fois qu'elle rencontrait un passant, il semblait surpris par la rencontre, comme s'il ne s'attendait pas à trouver une jeune humaine dans la cité. Immédiatement après, le regard se portait un peu plus bas, vers le petit professeur à l'aspect bonhomme qui entrainait sa nouvelle élève dans le labyrinthe des rues de la cité. Le passant semblait alors rassuré et détournait poliment son regard avant de continuer son chemin. Karine se souvint de la mise en garde de Korian, son guide : les humains n'étaient pas les bienvenus sur Ganymède. Trop mauvaise réputation...

Elle leva tout à coup la tête vers le ciel, entendant une sorte de sifflement.

Ce qu'elle vit la fit sursauter : une soucoupe volante était en train de descendre tranquillement, son disque de métal tournant à toute vitesse, pour se poser sur le toit d'une des maisons au bout de la rue. C'était exactement comme cela que les OVNIS étaient décrits sur Terre. Elle rattrapa Daniel et le prit par le bras pour le forcer à s'arrêter quelques instants. Il sembla un peu impatient, mais accepta de suivre la direction que lui montrait du doigt son élève.

– C'était vrai, alors, toutes ces histoires de soucoupes volantes ? Elles existent vraiment ?

– Tu le vois bien. Ce sont de simples drones qui vont régulièrement sur Terre pour effectuer diverses missions.

– Quand tu m'as révélé tout à l'heure qu'il existait des milliers d'autres mondes habités, j'ai senti en moi comme une sorte d'apaisement. C'était comme si j'avais enfin la confirmation d'une chose à laquelle je croyais depuis des années... C'est curieux, mais j'éprouve le même sentiment maintenant.

Daniel la regarda avec un sourire bienveillant.

– Ton jeune esprit a été préparé à cet événement depuis des années et avant toi, ceux de tes parents, et ceux des parents de tes parents...

Karine fronça les sourcils, ne comprenant pas. Daniel la tira par la main, pour l'inciter à reprendre leur marche. Ils ne devaient pas arriver en retard au premier cours.

– Cela fait plusieurs générations que les humains sont préparés psychologiquement à leur future rencontre avec d'autres espèces intelligentes. Nous avons favorisé l'émergence d'un courant littéraire pour cela : la science-fiction a d'abord été l'apanage de quelques scientifiques dont on disait qu'ils avaient une imagination débordante...

– Tu veux dire que...

– Avant d'envoyer ces pierres sur Terre, nous avons essayé plusieurs méthodes, par exemple la suggestion directe dans les cerveaux de quelques personnalités. Dans les années 50, la science-fiction a été très à la mode sur Terre. Ce n'est pas un hasard : nous avions mis quelques images d'autres mondes intelligents dans la tête de vos savants. Malheureusement, le moment était mal choisi : vous étiez en pleine Guerre Froide et les gens avaient une peur terrible de l'avenir. Résultat, ils se sont mis à imaginer des invasions de la Terre et des monstres tous plus effrayants les uns que les autres.

– Pourquoi ne pas tout simplement venir officiellement sur Terre et révéler la vérité ?

– Nous avons fait quelques tentatives. Cela s'est toujours mal terminé. L'un de nos ambassadeurs est venu se présenter à une base américaine, en demandant à rencontrer le Président des États-Unis. C'était dans l'état du Nouveau-Mexique, en juillet 1947...

– La créature de Roswell ? s'exclama Karine, impressionnée par cette révélation.

 – Tu as bonne mémoire. Il n'y avait pas plus pacifique que ce pauvre ambassadeur. Il venait d'un des mondes d'Alpha du Centaure et son peuple était persuadé de pouvoir établir une communication constructive entre votre race et la sienne, au seul prétexte qu'ils étaient humanoïdes tout comme vous et donc plus à même d'être bien accueillis. Il a été tué par un abruti de militaire paniqué, quelques minutes à peine après avoir atterri au centre de la base...

– Et ces Centauriens n'ont jamais voulu se venger ? Cela aurait pu être terrible pour nous...

– Ces "Centauriens" comme tu les appelles, sont les êtres les plus pacifiques qui soient. Leurs vaisseaux ne sont même pas armés. Cela ne servirait à rien : à part l'espèce humaine, il n'existe plus aucune race agressive dans notre Galaxie... Nous n'avons pas besoin de fabriquer des armes, puisque nous savons contrôler la Matière.

Karine se sentit honteuse tout à coup. Elle commençait à comprendre pourquoi tous ceux qu'elle rencontrait la regardaient avec cette expression choquée. Ils marchèrent encore quelques instants, puis Daniel désigna un haut bâtiment circulaire qui avait l'aspect d'un temple grec de l'antiquité.

– Nous sommes arrivés à ce qui sera désormais ta classe, du moins pour ta première année d'enseignement.

– "Première année" ? Je vais rester si longtemps que cela ? Mais, que va devenir mon corps terrestre, pendant tout ce temps ? Et mes parents ? Ils vont être désespérés de me voir rester dans le coma ! Je ne peux pas accepter de rester aussi longtemps !

– Il ne t'est jamais arrivé de faire un rêve qui te semblait durer des jours entiers ? Pourtant, quand tu t'éveillais, il ne s'était passé que quelques instants... Le temps n'a pas la même valeur dans ton monde et sur Ganymède. Ce qui te semblera être une année ici ne durera en fait que quelques minutes dans ton univers de terrienne. Allez, entre dans ce bâtiment, les autres élèves doivent déjà nous attendre !

Pierres d'étoiles (Prix Wattys 2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant