Chapitre 9 : bulle temporelle chez le proviseur

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Lorsque Karine entra à la suite du proviseur, il y avait deux hommes dans le bureau. Deux costumes-cravate avec le genre à essayer de paraître sympathique. La jeune fille comprit immédiatement qu'ils étaient de la police. Ils avaient coincé un petit sourire affable sur leurs lèvres, mais leurs yeux épiaient la moindre de ses réactions. Elle baissa les siens, essaya de prendre l'air angoissé et se tassa sur elle-même. Elle était très forte à ce petit jeu.

Le proviseur, monsieur Jules Ferry (oui, comme les « lycées Jules Ferry », cela ne s'invente pas !), contourna rapidement son bureau et vint s'assoir face à Karine. Il posa lentement ses coudes sur une pile de dossiers en retard, joignit ses doigts avant de les appuyer à la pointe de son menton (qu'il avait barbu), dans une posture qu'il espérait pleine d'autorité. Il attendit que son vis-à-vis ait relevé ses yeux. Les deux policiers s'étaient appuyés contre un des murs de la pièce et dévisageaient l'adolescente en silence.

Une mouche serait entrée à ce moment-là, elle serait repartie sur la pointe des pieds...

Voyant que la collégienne ne relevait toujours pas la tête, le proviseur finit par rompre le silence.

– Pouvez-vous m'expliquer ce qui s'est passé durant votre cours de mathématiques, mademoiselle ?

L'intéressée resta silencieuse, mais dans sa tête, ses neurones fonctionnaient à plein régime. Lorsqu'elle avait vu fondre sur elle le proviseur dans la cour de récréation, elle avait tout de suite compris qu'il allait l'interroger sur cet incident. Ce n'était pas un problème : elle savait comment le baratiner. La présence de ces deux flics était beaucoup plus inquiétante. Avaient-ils déjà fait le rapprochement avec la météorite ? C'était peu probable, mais elle ne pouvait pas prendre le risque de subir une fouille et qu'ils tombent sur sa pierre. Mais que faire ? Elle ne pouvait pas la confier à l'un de ses amis : il risquait d'être interrogé et fouillé, lui aussi.

Impossible de trouver une cachette dans la cour...

Ne voyant aucune autre solution, elle avait fait la seule chose qu'il lui paraissait encore possible, malgré les risques que cela comportait : sa main avait plongé dans sa poche, ressortant la pierre enveloppée dans un peu de papier-mouchoir. D'un geste semblant naturel, elle avait fait comme si elle s'essuyait la bouche puis s'était baissée pour prendre son sac à dos. La pierre était assez petite pour tenir sous sa langue, mais le papier allait rapidement fondre. Si jamais ce truc émettait des radiations, elle était mal barrée...

– Je crois vous avoir posé une question ! fit la voix froide du proviseur.

Karine n'avait plus le choix. Impossible de parler avec une pierre dans la bouche. Il fallait qu'elle trouve une autre solution. Elle pensa à quelque chose de très triste et attendit que les larmes lui viennent aux yeux. Cela marchait toujours, avec ses parents.

Lorsqu'elle fit un gros effort pour déglutir, les autres crurent que c'était une réaction naturelle à la venue des larmes, n'imaginant pas une seconde qu'elle venait d'avaler un morceau de météorite !

La bouche enfin libérée, elle put se mettre à gémir et à sangloter. Ce n'était presque plus de la simulation : elle avait réellement une trouille bleue de ce qui pourrait se produire lorsque la pierre viendrait au contact de sa chair, une fois le papier digéré par les sucs gastriques.

Embarrassé, le proviseur toussota. Il se leva, fit une nouvelle fois le tour de son bureau et vint tapoter doucement le dos de la collégienne.

– Allons, allons, il ne faut pas vous mettre dans des états pareils. Vous êtes une élève bien notée, je ne suis pas là pour vous punir, mais pour comprendre ce qui s'est vraiment passé. Madame Redoutée semblait totalement désemparée par votre comportement. Vous lui auriez fait une démonstration de vos talents soudains en mathématiques. Cela l'a tellement choquée, qu'elle a pris une semaine de congés !

Pierres d'étoiles (Prix Wattys 2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant