Chapitre 20 : les élèves du Duc d'Astaroth

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L'imposant duc tourna la tête lentement, prenant le temps de pointer ses yeux morts sur chacun de ses élèves, l'air menaçant. Il obtint sans peine le silence total.

– Vous êtes ici parce que les pierres vous ont choisi. Parmi toutes les créatures qui peuplent les milliers de mondes de notre galaxie, c'est à vos pieds qu'elles sont tombées. Quand je vous aurai formés, vous deviendrez des êtres supérieurs, doués de pouvoirs que vous ne pouvez même pas encore imaginer.

Joignant le geste à la parole, il tendit la main vers Ezriarme et un rayon de lumière blanche sembla jaillir de sa paume, venant envelopper l'humanoïde à longue queue. Aussitôt, celle-ci décolla du sol herbeux et se mit à planer au-dessus des autres élèves. Elle avait étendu ses bras et tentait de retrouver l'équilibre. Son visage aux yeux de chat exprimait la terreur.

– Je vous apprendrai à contrôler la Matière Noire, celle qui donne tous les pouvoirs. Vous serez respectés sur tous les mondes connus et vous apprendrez à voyager parmi les étoiles...

Il ramena sa main vers lui et Ezriarme retomba instantanément vers le sol. Avec la souplesse d'un félin, elle parvint à se rétablir sur ses pieds et se rassit dans l'herbe sans demander son reste.

– On vous dira qu'il ne faut pas utiliser la Matière Noire. On vous dira que je suis dangereux, habité par le Mal et que je ne cherche que le pouvoir et la gloire.

Tom sentit que la voix du Duc se faisait plus dure, plus enflammée. Une voix rauque, pleine de force et de puissance. Il en eut la chair de poule.

– Si le Mal n'existait pas, il n'y aurait pas non plus le Bien. Ces deux notions ne veulent rien dire.

Il se tourna vers Tom et pointa son doigt vers lui, d'un geste accusateur. Le jeune humain se sentit tout à coup devenir le point de mire de tous les autres élèves et crut que son tour était venu de subir la puissance de son maître.

– Toi, l'humain, quand les tiens plantent leur couteau dans la chair d'un animal, ce n'est pas pour faire le mal, mais pour se nourrir. Ce n'est pas votre faute si la Nature vous a créé ainsi. Il n'y a pas de mal à tuer si cela crée la vie ailleurs.

Les autres regardèrent le jeune humain avec dégout. Tom avait eu déjà l'occasion de se rendre compte à quel point son espèce était mal considérée en ces lieux. Il eut une bouffée de reconnaissance envers le Duc qui prenait ainsi sa défense. Non, ce n'était pas la faute aux humains s'ils suivaient encore leur instinct.

– Il y a la Matière et l'Antimatière. Le Bien et le Mal. Comme il y a le Jour et la Nuit, la Vie ou la Mort. Ce ne sont que les deux faces d'un monde qui a été créé ainsi, pour maintenir l'équilibre du cosmos. Soyez mes disciples et je vous apprendrai à maîtriser les énergies qui créent la vie ou qui la détruisent. Je ferai de vous... des Dieux !

Il ponctua son discours en levant les mains, paumes vers le ciel. Deux formes lumineuses se dressèrent soudain entre ses doigts. L'une était blanche, l'autre noire. Elles grandirent en silence, prenant peu à peu forme humaine. Les yeux noirs et aveugles du Duc d'Astaroth s'illuminèrent d'inquiétantes lueurs rouges et deux rayons en jaillirent, venant frapper les formes humaines.

La forme blanche grandit encore, devenant une belle jeune femme au corps galbé dans une robe de tulle blanche. Elle dansait, bras levés et mains jointes au-dessus de sa jolie tête.

La forme noire grandit à son tour, prenant l'apparence d'un diable cornu, au torse noir et velu. Il tendit les bras vers la danseuse, le visage grimaçant de désir.

Le Duc d'Astaroth rapprocha ses mains et les deux êtres se rejoignirent, s'enlacèrent, ne formèrent plus qu'un seul et même corps, noir et blanc, tournant toujours dans un lent ballet irréel.

Le Duc les jeta en l'air et ils se transformèrent en deux cygnes, l'un blanc et l'autre noir qui s'éloignèrent à tire-d'aile en direction du lac. Les élèves du Duc les suivirent longtemps du regard, rendus muets par le respect. Ils virent les oiseaux se poser en glissant sur les eaux turquoise du lac puis se mettre à nager tranquillement.

Tom se dit une nouvelle fois qu'il rêvait, que tout cela n'allait pas durer et qu'il se réveillerait bientôt de ce délire.

– Si tu crois vraiment cela, alors penses-tu que ce corps t'appartient ? fit soudain la voix du Duc, directement dans l'esprit de Tom.

Avant que celui-ci n'ait pu répondre, le Duc avait tendu son bras vers lui, pointant un doigt menaçant dans sa direction. Le doigt sembla s'allonger démesurément, devint un poignard qui entra dans la cuisse du jeune roux, lui arrachant un cri de douleur.

– Crois-tu que tu pourrais ressentir ainsi la douleur, si ce corps n'était pas réel ?

– Arrêtez ! Vous me faites mal ! gémit Tom en tentant de s'éloigner.

Le Duc retira son doigt, approcha son autre main et fit jaillir un court rayon vert. La blessure de Tom se referma aussitôt, cautérisée.

– Tu apprendras à domestiquer ta douleur. Elle est là pour te rappeler qui tu es. Elle est la voix de ton corps. Si tu ne le respectes pas, ton corps te fera souffrir. C'est sa façon de communiquer avec toi. Ton corps terrestre est en train de dormir dans un lit, mais ce corps dans lequel tu es actuellement, est tout aussi réel. Ne l'oublie jamais.

Il se tut et sembla attendre un assentiment du jeune homme. Tom finit par comprendre ce qu'il voulait.

– Ça va, j'ai compris.

– La bonne réponse est : "Oui, Maître". Je t'écoute...

Tom n'hésita pas longtemps. Ce type lui avait fait mal, mais c'était pour son bien et il ne valait mieux pas le contrarier, vu ce qu'il était capable de faire. Il répéta docilement :

– Oui, Maître. J'ai compris.

– À la bonne heure. Le respect est la base de tout enseignement. Apprends à respecter tes ainés, car ils ont l'expérience et le pouvoir. Apprends le respect et tu apprendras à te faire respecter par les autres, quand tu auras acquis mon savoir. Lève-toi maintenant !

Il se tourna vers les autres qui avaient suivi la scène en silence et leur fit signe de se lever à leur tour.

– Venez avec moi. Nous allons rejoindre la Cité Universitaire. Il est temps que je vous présente aux autres élèves, ceux qui ont peur de la Matière Noire.

Pierres d'étoiles (Prix Wattys 2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant