On a eu l'honneur de manger nos propres plats qui n'étaient pas si exceptionnels que ça.
Je suis terriblement soulagée de pouvoir enfin sortir de cette pièce, de ce tas de personne et de retrouver ma zone de confort : parler à Zélie a été éprouvant.
Je ne savais pas quoi faire : lui reprocher son comportement et partir ou jouer l'hypocrite avec elle. J'ai visiblement choisi la seconde option. Et bien que j'aie été gentille avec elle, Zélie ne sera jamais mon amie.
En ouvrant les portes du hall, j'ai l'impression de pouvoir enfin être moi-même et ne pas être crispée comme durant ces quelques minutes. Il fait beau, le soleil brille, l'herbe est verdoyante, on entend les oiseaux chanter et c'est l'une des premières fois depuis bien longtemps que je veux sortir. Pas étonnant quand on se retrouve dans un endroit pareil.
- Danaé, j'entends quand je suis enfin dehors.
Je me retourne brutalement, me demandant qui va me couper encore du peu de bien-être que j'ai. Je dois faire une tête des plus exaspérées quand je vois la fille de mon lycée se diriger vers moi. Non, je ne veux pas qu'elle me parle. J'aurai dû rester dans ma zone de confort et ne pas lui adresser la parole. J'ai attiré la tempête Zélie.
- Salut, je réponds froidement.
Elle sourit à pleine dent, passant ses cheveux noirs derrières ses oreilles. Elle porte une pince d'oreille en forme de fleur et un rouge à lèvres écarlate qu'elle a sûrement mis après le repas. Elle a la motivation de se faire belle dans un camp de vacances que tout le monde oubliera.
Zélie est si différente de celle du lycée. En fait elle semble plus humaine. Mais si je lui accorde de l'attention maintenant, que ce passera-t-il une fois les vacances terminées ?
- Euh... tu vas bien ?
- Comme tous les gens de la colo.
Elle n'ose même plus me regarder dans les yeux. J'ai vraiment l'impression d'être cruelle, d'être une petite peste égoïste. Elle se tient les deux mains vers en fixant le sol.
- Je sais que ce n'est pas cool ce que j'ai fait au lycée...
- Oui, Zélie, moi aussi je le sais.
- Et aussi par rapport à ce que tu m'as proposé.
La fuite, la séance de photographie mais surtout le cliché me reviennent en tête. Je n'ai même pas été fichu de trouver ce papier : il pourrait être n'importe où. Il faut que j'improvise, qu'elle oublie cette idée, que je retrouve cette photo et que je la détruise.
Elle sort soudainement une photo de sa poche, ce qui ne fait qu'augmenter mon inquiétude. Est-ce celle de ma chambre ? Mon cœur bat de plus en plus vite, mais bordel, qu'elle parle. Elle me la montre enfin à mon plus grand bonheur.
- Je suis ridicule là-dessus, mais au moins j'espère être la seule à avoir vu cette photo de merde avant toi.
Ce n'est pas la même que celle que j'ai volée. Qu'est-ce que j'ai été bête, deux clichés d'elle ont été imprimés et je n'ai même pas cherché à vérifier. L'une rôde je ne sais où dans la colonie.
- Mais tu sais, c'était juste une blague. S'enfuir serait trop con.
- T'es sûr ? Parce que...
- Oui, je dois y aller.
Je préfère partir avant qu'elle remarque mon mensonge. Devoir aller où ? Il n'y a rien à faire dans la colo détox hormis déprimer.
Je m'installe sur un banc, seule, et sort mon téléphone de ma poche : mon seul véritable ami. Lui, il ne m'a jamais trahie. Mais Alexis arrive, je fais mine de ne pas l'avoir vu. Pendant ce bref instant, j'ai pu observer qu'il tenait une boîte en carton.
- On ramasse les téléphones. Ce n'est pas contre toi, c'est que tous les adolescents l'utilisent au lieu de sociabiliser. Aller hop, dans la boîte.
Je lui lance un regard glacial, dommage qu'il ne puisse pas glacer son putain de carton à téléphones.
- Plus facile à dire qu'à faire, dis-je en gardant mon portable fermement dans mes mains.
- De donner son tel ?
- De sociabiliser avec des cons.
- Tu y arriveras, hein, sans tel tu risques d'être motivée, me répond-il impertinemment en le mettant dans son carton.
Je lui souris d'une façon bien hypocrite, je me lève, je lui montre mon majeur je me casse. Je l'entends crier, comme quoi je devrais être plus polie, mais je n'ai rien à perdre. Dans le pire des cas, je serais exclue de la colonie, et ce cas est bien le meilleur à mes yeux. Sans téléphone, je ne sais pas quoi faire. Alors je monte dans ma chambre pour lire le livre que j'ai apporté.
Sauf qu'en chemin, je croise Abel dans l'escalier qui sépare l'étage des filles et celui des garçons.
- Tiens, Danaé. On t'a aussi pris ton portable ?
Je sais bien que j'ai l'interdiction d'aller dans l'étage des garçons, comme si m'aventurer dans l'endroit d'adolescents puants changera de l'endroit des adolescentes empestant le parfum. Je m'installe à la limite entre les filles et les garçons, jouant avec le feu. A côté d'Abel, je suis assise sur une marche avec les mains tenant mes genoux.
- Ouais, quels cons. Ce n'est pas comme ça qu'on va sociabiliser.
- Bien, là on se parle. Donc techniquement ils ont bien fait leur boulot... Quoique j'aurai bien aimé avoir mon portable là.
- Peut-être, et moi j'aurai aimé ne pas être ici. Ils sont tellement paranoïaques, à fouiller nos sacs et à récupérer nos téléphones. Après ce sera quoi ? Interdiction de dormir par peur de ne pas se réveiller, interdiction de se laver par peur de tomber, interdiction de manger par peur de s'étouffer.
Abel sourit. Il est contre le mur de l'escalier, face à moi afin de me fixer. Je ne le regarde même pas dans les yeux. Je n'aime pas regarder les autres, je n'ose pas, et je suis plus embarrassée qu'autre chose. Soudain, Abel se lève.
- Tu viens ?
J'acquiesce d'un signe de tête puis je monte les marches. Je vais rejoindre l'endroit interdit, comme si ça allait me tuer d'aller dans un simple étage rempli de mâles en pleine puberté qui dépriment et qui ne font rien, telle une larve. On longe les couloirs jusqu'à sa chambre, sans croiser aucun animateur. Ni le stress, ni la peur, ni l'angoisse qu'on me retrouve ici : je n'ai rien à perdre. Je suis sans raison un garçon que je connais à peine dans un endroit où je n'ai pas le droit d'aller, et au bout de quelques secondes, je me dis que c'est une très mauvaise idée.
J'entre à contrecœur dans sa chambre. Elle possède la même structure que la mienne, la seule différence est que la sienne est en bordel, un bordel bien pire que la mienne. T-shirts traînant partout, caleçons aussi. Je fais mine de ne rien voir. Ses colocataires ne sont même pas là, mais je reconnais la valise de Nolan : rouge vif et plutôt petite pour quatorze jours.
- Tu partages ta chambre avec Nolan ?
- Ouais... avec ce pot de colle, me répond-t-il en s'accroupissant.
A présent, il s'allonge à côté de son lit et passe en dessous. Autant dire que le peu de charisme qu'il avait s'est évaporé : une larve en plein déplacement.
- Tu ne l'apprécies pas ? je lui demande sans m'empêcher de le fixer.
- Euh... si mais il est collant... quand même, lâche-t-il essoufflé.
J'ai l'impression de parler à une paire de fesses. Il sort finalement de sous le lit comme si de rien n'était. Il me montre, fier de lui, une boîte en métal avec écrit en majuscule « chocolaterie, pâtisserie ». Avant que je ne puisse me moquer de lui, il l'ouvre et me présente un paquet de cigarettes, du cannabis et des papiers. Abel prend les clopes pour les mettre dans sa poche et repose sa boîte où elle était avec un petit plus de classe : il l'a pousse simplement avec son pied jusqu'au mur sous son lit.
- Ils ont fouillé les sacs et les valises au début de la colonie, je lui dis une fois que nous sommes en dehors de sa chambre.
- Je sais, mais je suis plus malin qu'eux.
Le lycée horticole qui nous serre de prison est immense, le terrain est truffé de cachettes. Nous marchons quelques minutes durant lesquelles Abel et moi discutons comme des amis. Pas loin des serres se trouve une cabane à jardin, sûrement pour ranger des outils utiles pour nous tuer. Mais le plus important est qu'il y avait un espace assez grand pour trois personnes, voir quatre derrière. C'était l'endroit parfait : des arbres nous recouvrent et un mur est installé derrière nous.
Il sort une cigarette, l'allume puis me passe le paquet : je n'ai pas fumé depuis ma tentative de suicide. Mes parents l'avaient remarqué peu de temps avant et ne se sont pas gêné pour m'engueuler. Ma mère paranoïaque a commencé à dire que ça allait me tuer à petit feu et que ce n'est pas ce que je veux... si seulement elle savait. Quant à mon père, hormis me gifler et me priver de sortie, il n'avait pas l'air de s'en soucier. Il préférait s'installer sur son canapé, lire son petit journal sur son téléphone, critiquer tout le monde sans même se regarder dans un miroir, et partir au boulot. Le monde du travail, là où il pouvait vivre de ses fausses amitiés et ses faux sourires.
- Tu ne partages pas ton exploit à Nolan ? je lui demande tandis que j'allume le briquet.
Je passe la flamme sur ma clope.
- Non, t'es folle.
La fumée se dégage de ma bouche et s'envole dans les airs. Si seulement je pouvais être libre comme elle et m'enfuir, si seulement Zélie avait accepté, si seulement j'avais réussi ma tentative de suicide. Je serais en paix, je n'aurai plus à me casser la tête à penser ou à entretenir ces relations inutiles.
Je tourne la tête pour voir le visage d'Abel et c'est alors que je vois quelqu'un, une silhouette, qui se dirigé d'un pas déterminé vers nous. Contrairement au garçon aux cheveux verts, je ne panique pas. Je ne bouge pas. Contrairement à Abel, je ne jette pas ma cigarette, je tire une autre fois dessus et fixant la personne.
D'une impertinence bien trop puissante, je sais que je suis intouchable et j'espère que ce soit un animateur. Je veux montrer que je n'ai pas peur. Je veux les tourner en ridicule.
Pourtant, je distingue Zélie. Terriblement déçue de la voir, je soupire. Elle n'a pas intérêt à venir me faire chier. Abel rigole et ignore la fille d'un ton aussi impertinent que le mien. Je l'aime bien ce garçon. Une fois qu'elle est à notre niveau, et sans dire bonjour, elle prononce ces mots.
- J'accepte ce que tu m'as proposé, Danaé.
Mise en ligne : 21/10/19
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NDA : Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?
Je vais poster un chapitre par semaine du 21/10 au 27/10 inclus.
Que pensez-vous d'Abel ? Et de sa réserve secrète ?
Imaginez ce qui pourrait se passer dans le prochain chapitre !