Je quitte la fleuristerie quand mon portable sonne.
« — Êtes-vous en route ? s'impatiente l'inspectrice Evans qui m'appelle cette fois depuis sa ligne professionnelle.
— J'avais un impératif à la boutique. Je serai là dans une vingtaine de minutes.
— Très bien ! Vous êtes attendue de pied ferme.
— À tout de suite, inspectrice.
Je m'apprête à raccrocher quand elle reprend :
— Juliette.
Silence. Le ton grave qu'elle a employé m'a fait me stopper quelques secondes.
— Souhaitez-vous qu'un agent vous accompagne ? Je peux envoyer quelqu'un.
— Non. Ça va aller.
— Faites attention à vous. »
Un écho funeste résonne dans sa voix ce qui n'a rien d'étonnant. Tout le monde a peur et appréhende la découverte d'un nouveau cadavre.
Mon père avait offert de m'accompagner. Mais je sais qu'il est submergé de travail. Je ne peux lui imposer le fardeau supplémentaire d'être ma baby-sitter. Je préfère me rendre seule à l'hôpital armée de ma détermination et d'une bombe au poivre.
La route qui traverse le comté de Cork s'étend devant moi, serpentant entre les collines verdoyantes et les vallées aux tons automnales. Le paysage, d'une beauté à couper le souffle, contraste avec mon état d'esprit troublé. La morosité devient monnaie courante ces derniers jours. Y-a-t-il un moment durant lequel je ne suis pas tourmenté ? Non... ou peut-être bien que si ! Quand Andrew est dans les parages. Sa seule présence à la capacité d'estomper mes craintes et d'envelopper mon cœur comme un chocolat de Pâques dans un emballage flamboyant. Andrew me donne du peps. Il apporte au quotidien une multitude de couleurs et j'aime ça ! Mais dois-je m'attacher à lui en sachant qu'une fois sa convalescence terminée, il repartira à Dublin ?
J'essaie de chasser cette idée parasite pour me concentrer sur le moment présent. Andrew est à Cork... il n'est pas encore parti ! Pendant que je m'autopersuade de lâcher prise, une sensation dérangeante me saisit. Je m'agite sur mon siège quand un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Je me sens épiée.
Je secoue la tête pour chasser des pensées irrationnelles lorsque les phares de la voiture qui me suit commencent à clignoter. Une vague d'appréhension me submerge. Mon cœur s'accélère, tambourinant dans ma poitrine comme un signal d'alarme. Je garde un œil sur le rétroviseur en essayant de contrôler une montée de stress dévorante.
— Calme-toi, Juliette, proféré-je en prenant une grande inspiration.
Finalement, le véhicule me double et je laisse échapper un soupir de soulagement.
Mon répit est de courte durée. Un bruit sourd résonne soudainement à l'arrière de ma voiture, suivi d'une secousse désagréable qui me fait sursauter. Je comprends que quelque chose ne va pas.
— Non, non, non, pesté-je en frappant sur le volant. Ce n'est pas le moment !
Avec appréhension, je m'arrête sur le bas-côté d'un petit village pittoresque et isolé. J'observe les alentours avec la plus grande des attentions. Lorsque je sors pour inspecter les dégâts, mes yeux tombent immédiatement sur le pneu crevé. La surprise et l'incrédulité me font pousser une longue plainte. Je l'ai changé il y a à peine quelques semaines ! Comment cela a-t-il pu arriver ? De plus, je n'ai pas vu le moindre débris sur la route qui pourrait expliquer ce pneu crevé.
— Allez, ma petite Juliette ! Remonte-toi les manches ! me dis-je à moi-même comme pour m'encourager.
Déterminée à résoudre ce problème, je m'apprête à ouvrir le coffre pour utiliser le matériel de secours lorsque mon téléphone sonne, brisant le silence pesant qui règne autour de moi. C'est Andrew.
Un air béat s'affiche sur mon visage en décrochant.
« — Comment va la plus belle femme d'Irlande ? demande-t-il charmeur.
Notre baiser me revient en tête et des papillons jaillissent dans mon ventre. Me mordant la lèvre, un immense sourire s'incruste sur mon visage.
— Tu veux dire la fille la plus malchanceuse d'Irlande ?
— Que se passe-t-il ? s'inquiète Andrew.
— Rien de grave. Mon pneu a encore crevé !
— Comment ?! Où es-tu ?
— Je suis à Waterfall à proximité du fort du parc régional de Ballincollig. Je vais à l'hôpital de Wilton. Esther s'est réveillée. »
Je lui explique rapidement la situation, espérant pouvoir régler le problème par mes propres moyens, mais il insiste pour venir à mon secours. Je refuse poliment.
« — Je peux me débrouiller seule.
— Je n'ai jamais insinué le contraire !
— Andrew, qu'est-ce que tu fais ? le questionné-je en entendant une portière claquée à travers le portable.
— Je suis en route. Je serai là dans une demi-heure maximum. Il y a un endroit où tu peux te mettre au chaud ?
— Je vais me débrouiller, ne t'inquiète...
— Ce n'est pas le moment de jouer à la tête brûlée ! Rentre dans un pub ou enferme-toi dans ta voiture, Juliette, ordonne-t-il.
— Je vais gérer et...
— S'il te plaît, Juliette, m'interrompt Andrew d'un ton ferme. C'est la deuxième fois que ton pneu s'abîme. C'est étrange, non ? Rentre dans un pub ou enferme-toi dans ta voiture et reste en ligne le temps que j'arrive. »
Je capitule et remonte dans la citadine en parlant de la pluie et du beau temps à Andrew qui ne cesse de me demander de rester vigilante.
« — Andrew, je suis toujours sur mes gardes. C'est un peu ma marque de fabrique, soufflé-je en faisant mon possible pour ne pas me laisser submerger par l'angoisse de la situation.
— Tu as...
— Andrew ?
Pas de réponse.
— Andrew ? »
J'entends des grésillements avant que la conversation ne coupe. Le réseau et ses travers !
« Batterie faible. »
— Comme si j'avais besoin de ça, marmonné-je en hésitant à aller prendre ma batterie de secours dans mon sac à main.
Assise derrière le volant, j'attends. Andrew ne devrait plus tarder et je pense lui avoir donné toutes les indications lui permettant de me retrouver.
Les minutes passent. Je m'impatiente à tel point que je sors rapidement de la voiture pour aller chercher mon sac à main dans le coffre afin de recharger mon portable qui vient de s'éteindre.
— Vous êtes perdue ?
La voix rauque et puissante qui s'est élevée dans mon dos me vole un sursaut. J'en renverse le contenu de mon sac dans le coffre et sur le sol.
Je me retourne brusquement pour découvrir un homme qui émerge du sous-bois. Son apparence est austère, ses vêtements usés, sombres, et son regard inquisiteur. Je me raidis face à celui dont je n'aperçois que la partie supérieure du visage. La partie inférieure étant dissimulée par son écharpe.
— Besoin d'aide, mademoiselle ? demande-t-il d'une voix calme mais chargée de sous-entendus sinistres.
Sentant une vague de méfiance s'insinuer en moi, je recule.
— Non, merci. Je vais me débrouiller, réponds-je d'une voix hésitante sans le quitter du regard.
L'homme ne semble pas convaincu par ma réponse. Il s'approche lentement, ses yeux singuliers scrutant chaque mouvement que je fais.
— Êtes-vous sûre ? Je peux vous aider, vous savez...
Sa voix résonne dans l'air paisible, mais son ton est empreint d'une menace subtile.
Je secoue la tête avec détermination en fixant ses grands yeux gris. Je n'en avais jamais vu auparavant. L'individu au nez pointu et cabossé fronce ses épais et broussailleux sourcils. Je crois l'avoir contrariée.
— Non, vraiment, je vais bien. Merci quand même, déclaré-je crispée.
Il me fixe encore un moment, puis hoche la tête. Sans un mot de plus, il se fond dans l'ombre des arbres, disparaissant aussi mystérieusement qu'il était apparu. Une boule d'angoisse se forme au creux de mon estomac. Je m'efforce de rester calme.
Je ramasse mes affaires à la vitesse de l'éclair et referme le coffre pour remonter dans le véhicule lorsque j'entends un enchaînement de craquements derrière moi. Mon cœur manque un battement alors que je me retourne pour découvrir l'homme qui surgit dans mon dos, ses yeux brillant d'une lueur malsaine. Avant même que je puisse réagir, il m'attrape violemment, étouffant mes cris de terreur et me traîne dans le sous-bois.
***
N'hésitez pas à voter ;)
Des suppositions concernant les meurtres de Cork ?
***
Pour être au courant de mon actu, n'hésitez pas à me suivre sur les réseaux sociaux :
Insta : ceciliacity
Tiktok : ceciliacitybooks