Chapitre 14 : Phoenix

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Cette nuit encore, j'ai rêvé de Benji.

On dit que les rêves sont le reflet de nos désirs et de nos peurs, le tout traduit par des bribes que notre esprit capture et parsème dans notre sommeil. Le mien n'a jamais été très subtil, alors je sais exactement pourquoi mon meilleur ami hante mes nuits.

Malgré tout ce qu'il s'est passé entre nous, il me manque. C'est terrible et injuste, mais je n'y peux rien. Je refuse de le voir, de l'entendre, ou même qu'on évoque son nom, mais je n'arrive pas à m'en passer. La journée des métiers n'a pas aidé, et me rendre chez Jerry et Nelly non plus. Ils ne font que parler de lui et sa présence est partout dans la maison où on a grandi. Elle regorge de moments passés ensemble, du salon en passant par la salle de bain jusqu'à la cuisine.

Je suis conscient d'avoir agi comme le dernier des connards en couchant avec Michaela. Quel pote fait ça ? Un pote désespéré. Benji avait mille raisons de vouloir me casser la gueule devant le bureau du shérif, mais voir sa colère n'a fait qu'augmenter la mienne. Je perds littéralement le contrôle.

Je ne m'étais pas autant égaré depuis mes quinze ans, quand un changement s'est opéré en moi en ravivant une fureur passée et une instabilité qu'on m'avait soignées. J'ai eu une enfance turbulente après la perte de mes parents, mais avec l'aide d'un psychologue, et surtout de la famille Blackmon, j'avais atteint un équilibre. Benji y a joué un rôle majeur, alors il est normal qu'il soit le mieux placé pour faire basculer ce même équilibre. Chaque big bang dans mon existence a été étroitement lié à lui, mais aucun ne l'avait éloigné de moi comme celui-ci.

Il y a quelques jours, j'ai revu Michaela en allant à la supérette. Elle m'a demandé pourquoi je n'étais toujours pas venu la voir au bar, alors j'ai abrégé ses attentes. Elle a eu l'air déçue que ce soit déjà terminé, mais elle en trouvera vite un autre. Je n'aurais pas dû me servir de cette fille. Même si je l'ai haï pour avoir eu Benji, je regrette d'en avoir fait un instrument. Mais je me demande si je ne recommencerais pas si j'avais la possibilité de remonter le temps. Car même si j'ai fait fuir mon pote, au moins, elle ne l'aura plus. Et putain, est-ce que ça fait de moi un monstre ?

Au bureau, les collègues ont pas mal comméré sur la raison de mon altercation avec Benji sur le parking. J'ai subi les questions de Robin qui a fini par se faire à l'idée que je ne lui dirais rien. Je ne vais pas parler de mes problèmes à mon ex, qui plus est, lorsqu'il s'agit de mon pseudo-sexfriend.

Ce matin, c'est avec mon suppléant que je mène l'enquête d'un délit de fuite. La semaine dernière, un gamin s'est fait renverser alors qu'il était en vélo à la tombée de la nuit. Il s'en est tiré avec un bras dans le plâtre tandis que le chauffard s'est fait la malle. Hier, on a reçu un appel d'un résident de Rockbury persuadé d'avoir une piste. La voiture d'un mec serait rentrée cabossée le lendemain même de l'accident. Robin et moi allons donc rendre une petite visite au suspect.

Je n'ai pas été surpris en apprenant qu'il s'agissait de Raphaël Savage. Chaque ville a ses mythes, des histoires qu'on raconte pour faire peur aux gamins. Ici, la plupart tournent autour de ce mec. À vingt et un ans, son dossier comporte autant de plaintes qu'un narcotrafiquant. Lorsqu'il y a une embrouille ou un truc louche à Rockbury, les regards se tournent tous vers Savage.

— C'est vrai ce qu'on dit sur ce mec ? Il a tué ses parents ? m'interroge Robin alors qu'on approche de chez le suspect.

— Il n'y a jamais vraiment eu de preuve, mais ce sont les rumeurs. Par contre, son père n'est pas mort.

— Le cinglé ? Connor m'en a parlé.

— Monsieur Savage n'a pas pu aider la police lors des enquêtes, il a toujours été plus ou moins instable.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant