Chapitre 6 : Benji

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    Il y a de nombreuses fêtes célébrées dans la petite ville de Rockbury. Parmi elles, celle du sirop d'érable se situe en tête de liste dans le cœur des habitants. Elle n'a pourtant rien d'extraordinaire : des stands de bouffes, des animations de trottoirs, un marché, et quelques manèges. Mais elle demeure celle que je préfère, bien avant le marché de Noël ou la fête foraine du mois de juillet. Parce que lors de cette semaine de festivité, Phoenix et moi dévorons des piles de pancakes au sirop d'érable à nous en faire péter le ventre. Et rien que pour ça, elle mérite d'être classée en première position.

    Je l'ai rejoint vers quatorze heures sur la grande place. Ça fait maintenant deux heures qu'on déambule dans le centre. Falcon Fox – le journaliste en herbe de Rockbury – couvre l'évènement. Le typé amérindien, aux cheveux en bataille, arpente l'avenue principale. Accompagné de son caméraman, il récolte des interviews pour son journal local. Phoenix et moi le connaissons depuis des années sans en être réellement proches pour autant. Il nous arrive de manger ensemble, de picoler avec lui lors d'une soirée, ou de discuter sur le trottoir quand on se croise. Il fait partie de notre paysage au même titre que le maire, le directeur de la scierie Sutherland, ou le serveur de chez Danny's. Mais ce n'est pas à lui que j'irais me confier, car Falcon est le pire fouineur et la plus grosse commère qu'ait connus Rockbury.

    Soudain, le journaliste fait irruption devant nous. Un flash m'éblouit l'espace d'un instant, avant qu'il ne s'éloigne en badinant :

    — Merci, les gars, c'est pour la célébrité !

    Je grogne tout en le regardant s'éclipser parmi les passants.

    Phoenix m'entraîne ensuite sur la droite jusqu'à un stand de chamboule-tout où il s'arrête pour observer les joueurs. Quand on était gamins, on pouvait passer des heures à balancer des boules de cuir dans des boîtes de conserve. Je n'ai malheureusement jamais réussi à gagner une seule partie, c'était Phoenix le plus doué de nous deux. Il a toujours été plus sportif que moi, et plus habile de ses mains.

    Aujourd'hui, je remarque que les vieilles habitudes ont la vie dure. Je me ramasse lamentablement au stand de tir, et le rouquin termine la partie à ma place. Les cibles ne font pas le poids face à la précision de l'Adjoint qui les dégomme les unes après les autres. Il récupère le petit sachet que lui tend le forain tout en me lançant :

    — Ça fait vingt ans qu'on vient à cette foire, et tu n'es toujours pas capable d'exploser une seule cible.

    — Ferme-la et file-moi mon lot de consolation.

    — T'as déjà au moins dix coques comme celle-là, tu les collectionnes ?

    Je claque ma langue sur mon palais dans un geste d'impatience. Un sourire étire toujours les lèvres charnues de Phoenix qui me tend enfin la coque de portable qui termine dans la poche de mon blouson.

    Ça me rassure de voir que rien n'a changé entre nous. Malgré ce qu'il s'est passé chez moi, tout est finalement rentré dans l'ordre.

    Des passants arrivent face à nous. Phoenix passe un bras autour de ma taille pour m'écarter de leur trajectoire. Puis on s'engage d'un même pas sur l'avenue envahie par la foule.

    Vers seize heures, la faim commence à se faire sentir. On décide de prendre à manger au stand de churros. J'en commande à la cannelle, car Phoenix en raffole, et on va les déguster sur un banc à l'écart de l'agitation. Le ciel est noir au-dessus de nos têtes, contrastant avec la couleur orangée des feuilles des arbres. L'averse nous menace depuis le début de l'après-midi, mais aucune goutte ne pointe le bout de son nez alors qu'on entame notre encas.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsWhere stories live. Discover now