Chapitre 11 : Phoenix

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Sept jours de silence, sept jours d'absence, sept jours de rien.

Depuis ma visite à Garden Center, Benji n'a pas redonné signe de vie. Moi non plus. On ne s'est pas recroisés, et je n'ai pas cherché à le faire. Je n'ai pas envie d'être celui qui lui court après, je l'ai suffisamment fait. Je suis encore en rogne contre lui et je sens que notre coup de gueule à la jardinerie repartirait de plus belle si on devait se parler.

Néanmoins, dès que je repense à ce qu'il m'a dit sur Michaela, je regrette de ne pas aller régler mes comptes avec mon pote une bonne fois pour toutes. Mais pour quoi faire ?! Putain, je n'arrive pas à croire qu'il essaie de me remplacer par la barmaid ! Benji est un mec malin, drôle, perspicace, cultivé, gentil et canon par-dessus le marché, il aurait pu faire ça avec n'importe quelle nana, mais parmi toutes, c'est cette niaise qu'il a choisie ! Pourquoi m'avoir laissé l'approcher si c'est pour me rejeter ensuite ? Pour me donner une énième leçon ?

Non. Je dois arrêter de faire ça. Lui trouver des excuses ou des explications pour alléger ma rancœur. Je me sens con, trahi, insignifiant, et rien ne pourra rattraper ça. Benji a fait son choix, si vraiment il en avait un à faire. À quoi est-ce que je pensais ? Il n'a jamais eu l'intention de me faire passer avant ses meufs ! Il m'a prévenu, il ne voulait rien de plus avec moi. Bordel... Qu'est-ce que j'ai été con ! Je me suis fait avoir comme un Bleu !

J'écoule ma rage et ma déception pendant mon footing quotidien dans la forêt au nord de Rockbury. J'accélère l'allure, malmenant les muscles de mes cuisses ainsi que mes poumons. Le tapis de feuilles mortes s'aplatit sous mes tennis tout en régurgitant l'eau de pluie. Ma respiration devient erratique et mes foulées de plus en plus rapides. L'air glacé s'infiltre dans ma gorge et agresse mon visage. L'humidité fusionne avec ma sueur dans ma nuque. Ça me tire, ça me chauffe, c'est désagréable, mais je me sens vivant. Alors je persiste à consumer cette colère ravageuse en même temps que mon énergie.

Je finis par m'arrêter en revenant vers le quartier résidentiel où je me suis garé. La brume qui apparaissait à la lisière des arbres s'épaissit entre les maisons de Merle Street, la rue de mon enfance. Je sors du bois, mon jogging collé à ma peau. Je meurs de chaud malgré les dix degrés ambiants et mes fringues légères. Je passe une main sur mon front et parcours les derniers mètres en marchant.

Alors que j'arrive près de ma Jeep, mon regard est attiré par la silhouette de la maison au fond du lotissement. Je glisse une main dans la poche de mon anorak et touche mon trousseau de clés. Au lieu de m'emparer de celle de la voiture, je referme mes doigts sur une plus fine et entièrement métallique. Je la palpe comme un talisman.

J'abandonne la Jeep pour prendre la direction de la bâtisse blanche qui ressort sur la forêt aux couleurs automnales. L'herbe du jardin est haute et les branches d'un cèdre atteignent presque la façade. Arrivé devant la porte d'entrée, je m'arrête. Un semblant d'hésitation me traverse. Je ne suis pas venu ici depuis des années, je m'y sens comme un étranger alors que je me tiens sous le porche. Je sors le trousseau et jette un coup d'œil à la clé que je ne pensais plus utiliser. Mais c'est chez moi après tout. Alors j'inspire un bon coup et l'insère dans la serrure.

La porte s'ouvre avec un grincement et une odeur de renfermé me prend au nez. Les volets fermés m'empêchent de distinguer quoi que ce soit au premier abord. Il faut quelques secondes à ma vue pour s'adapter à la semi-obscurité. J'entre, la lumière passant par la porte ouverte projetant mon ombre sur le paquet beige. J'aurais aimé que Benji soit présent, ça aurait été plus facile à ses côtés, mais je chasse vite cette pensée.

Alors que je pénètre dans le salon, je redécouvre ce lieu que je ne voyais que dans ma tête. La maison m'avait toujours paru plus grande, comme tout ce dont on se souvient étant gamin. Mes yeux cherchent à capturer le moindre détail sans trop s'y attarder. Les murs n'ont pas été vidés, les meubles non plus. Les objets sont toujours à leur place et les cadres toujours accrochés. Je n'ai jamais eu le courage de venir ici pour tout ranger. J'ai hérité de la maison après l'accident, mais ne l'ai pas entretenue, sans me résoudre à la vendre pour autant. C'est Jerry qui s'occupe de tondre la pelouse de temps en temps, mais à en croire la hauteur, il n'est pas passé depuis un moment.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant