ROCKBURY - Le poids de nos secrets

Chapitre 23 : Phoenix

     Commencer la journée avec l'arrestation de Ronald Murphy revient à prendre une tasse de café au petit déjeuner. Je suis même étonné lorsqu'il ne se retrouve pas en cellule de dégrisement au moins une fois par semaine. Sa dernière beuverie publique remontait à cinq jours, quand je l'ai raccompagné chez lui.

     Aujourd'hui, c'est Connor qui s'est chargé de l'escorter jusqu'au bureau du shérif, à sept heures du matin. Murphy pissait dans les géraniums d'une mamie qui habite un lotissement. Cette dernière, encore choquée par la vision de son membre mi-dur devant sa fenêtre, a porté plainte dans la foulée.

     — Qu'est-ce qu'on va faire de ce type ? me demande mon collègue.

     On se tourne tous les deux vers Murphy qui décuve sur le banc en somnolant. Il se gratte la joue à travers sa barbe mal rasée et grommelle un truc incompréhensible.

     — Garde-le au moins jusqu'à midi, je réponds en récupérant mon chapeau. Qu'il dessoule avant de repartir.

     — OK, je garde un œil sur lui.

     — Hammond ! j'appelle en passant devant son box. On y va.

     Robin sort aussitôt en rangeant son flingue à sa ceinture. Je le regarde bizarrement, ne comprenant pas pourquoi il l'a enlevé, puis on abandonne Connor en compagnie de Murphy sur les coups de huit heures.

     Pendant notre ronde en voiture, on parle des élections qui approchent. À quelques semaines du verdict, on n'a tous que ce mot à la bouche. Même si on se doute que Tucker sera réélu, c'est agréable d'envisager un monde où un shérif digne de ce nom veillerait sur Rockbury. Robin m'annonce qu'il m'apporte son soutien et qu'il votera pour moi. Ça m'étonne après tout ce qu'il s'est passé entre nous. Je ne pense pas qu'on soit en mauvais terme, mais honnêtement, quel genre de mec supporte son ex ? Un mec comme lui, apparemment.

     Vers dix heures, alors que je remonte en voiture après être passé chez Danny's, je file un café à Robin et en garde deux autres de côté. Il ne pose pas de questions, sachant ce qui va suivre. Je redémarre et il avale plusieurs gorgées avant de me dire :

     — Connor parle déjà du repas de Noël du bureau, il a tout programmé et voudrait que ça se passe chez lui.

     Alors que je m'étais perdu dans mes pensées, je me tourne vers lui en assimilant ses paroles.

     — Ouais, s'il veut.

     Je me réintéresse au pare-brise en cogitant sur un sujet plus important que le Noël des flics. Benji. Nos moments et nos conversations s'enchaînent dans ma tête, me partageant entre un sentiment d'impatience et de prudence.

     — Il se demande si on viendra accompagné, tu sais, histoire d'avoir le temps d'organiser, me récupère Robin.

     — Il faudrait déjà qu'il puisse faire entrer toute l'équipe dans son appartement avant de penser à inviter les compagnes.

     — Et toi, tu crois que t'amèneras quelqu'un ?

     Je jette un coup d'œil sceptique à mon coéquipier.

     — Surtout pas avec Tucker dans les parages. T'as oublié qu'il est anti-gay ?

     — Merde, c'est vrai, alors on viendra en célibataire... Mais si t'avais pu, tu serais venu avec qui ?

     Cette fois, je préfère le silence et me reconcentre sur la route.

     — Pas la peine de me le cacher, Phoenix, j'ai deviné qu'il y avait un autre mec.