Chapitre 29 : Phoenix

682 52 2
                                    


     Tapotant nerveusement sur le volant de ma Jeep, je conduis depuis un quart d'heure en compagnie de Jerry sur la route verglacée en direction de Waterbury. Il est déjà tard, le soleil décline derrière la cime des arbres.

     C'est un grand jour pour Nelly et lui. Voilà déjà vingt-cinq années qu'ils sont mariés, et pour l'occasion, chacun a prévu de marquer le coup avec un cadeau. 

     Mais si je suis stressé pour une tout autre raison, lui l'est encore plus. Il se tortille sur son siège et ne cesse de s'éclaircir la gorge. À mesure qu'on approche de Waterbury, il commence à émettre des doutes concernant ce qu'il a commandé au magasin. En même temps, il a de quoi.

     D'aussi loin que je me souvienne, Jeremiah s'est planté pour chaque cadeau qu'il a offert à sa femme. Il faisait pourtant l'effort de choisir un présent en rapport avec ses passions. Alors après les outils de jardinage pour son potager, un sèche-cheveux dernier cri pour ses brushings, et un nouveau fauteuil pour le bureau où elle fait les montages vidéos de son blog... Je me demande quel nouveau faux pas il a commis.

     — T'as demandé à Benji ce qu'il en pensait ? je me renseigne tout en observant la route qui zigzague entre les bois. Nelly lui confie toujours tout, elle a sûrement dû lui dire ce qu'elle voulait.

     — Bien sûr que je lui ai demandé, et il m'a répondu que c'était un peu réducteur de lui offrir un appareil électroménager. Mais je trouvais que c'était une bonne idée.

     — Qu'est-ce que tu lui as pris ?

     — Un machin pour faire des petits gâteaux, tu sais, avec des décorations dessus, m'explique-t-il en le mimant.

     Arrivé sur une ligne droite, je me tourne vers lui en fronçant les sourcils.

     — Des cupcakes ?

     — Ouais, voilà. On a vu une pub l'autre fois, à la télé, Nelly avait l'air emballée.

     — Oh, merde, je lâche en riant.

     — Tu trouves ça naze ?

     — Non, elle sera contente... Je pense.

     Mais c'est plus fort que moi, je me marre à nouveau, trop nerveux pour me retenir.

     — Raaah ! J'aurais dû te demander ton avis avant ! râle Jerry.

     — On verra à quoi il ressemble une fois là-bas. Peut-être qu'il en jette. Il faut le juger en réel, comme une bagnole.

     Il bougonne dans sa barbe poivre et sel.

     — Je commence à me dire que j'ai fait une connerie, soupire-t-il. Je vais peut-être le renvoyer.

     — Mais non, la connaissant, elle t'aura cuisiné trente recettes de cupcake sans gluten dans l'heure. Prends-lui des fleurs en plus, ça marche toujours, tout paraît mieux à côté d'un bouquet.

     Ragaillardi, il retrouve sa bonne humeur et son humour.

     — J'en achèterai un assorti à la couleur de l'emballage pour le mettre en valeur, renchérit-il.

     On se rit tous les deux et il me tapote l'épaule avec affection. Le sourire aux lèvres, je déclare :

     — Espérons qu'il ne soit pas noir.

     — Ce serait bien ma vaine. Mais Nelly voit toujours le bon côté des choses, ça lui fera une babiole de plus à emmagasiner.

     — Ouais, je sais de qui Benji a hérité sa manie de tout garder.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsWhere stories live. Discover now