Chapitre 13 : Benji

676 56 0
                                    


Deux jours plus tard, ma dispute avec Phoenix me laisse toujours un goût amer dans la bouche. Il ne nous était encore jamais arrivé de nous embrouiller à ce point-là. On pouvait se battre en se donnant quelques coups, mais cette colère était superficielle, le résultat d'un élan soudain et aussi fugace qu'un courant d'air. Cette fois, c'est différent. Phoenix m'a profondément blessé. Il a atteint une zone que je garde éloignée du monde, une partie de moi qu'une seule personne est un jour parvenue à piétiner.

Pour l'heure, je jette l'Adjoint Walker aux oubliettes et me focalise sur mon après-midi au lycée Lincoln. J'ai finalement accepté la proposition de Falcon de me joindre à lui pour la journée des métiers. Par la plus improbable coïncidence, il s'est avéré que cette dernière tombait pile sur mon jour de congé. Ce n'est donc pas par pur altruisme que j'ai répondu présent, mais parce que j'ai foutrement besoin de m'occuper l'esprit.

Dès que je suis seul chez moi, je repense à Phoenix en tentant de me convaincre à quel point il me dégoûte, à quel point il m'a déçu. Mais chaque fois que mes pensées me ramènent à lui, je ne peux pas refouler la sensation de manque que son absence soulève.

Tandis que j'arrive devant le lycée, ce sentiment se renforce. Tout dans cet endroit me rappelle mon meilleur ami et les années qu'on y a passées. L'analogie est d'autant plus présente lorsqu'une bande de sportifs traverse la cour. Mon attention s'éternise sur un footballeur en Teddy jaune et bleu, et aux cheveux blonds vénitiens.

Tel un mirage, son clone plus âgé apparaît dans mon champ de vision, en pleine conversation avec son collègue, le fameux Robin. Je passe à côté d'eux en feignant de ne pas les avoir remarqués et accélère l'allure. Je compte chaque pas quand je monte l'escalier menant à l'entrée principale. Des souvenirs me reviennent, métamorphosés en odeurs, car l'odorat fait souvent fonctionner nos mémoires. Celle des protège-cahiers, des casiers en métal, du savon dans les toilettes, ou encore les effluves de la bouffe abjecte qu'on nous servait à la cantine.

Arrivé dans le vaste hall, je prends une profonde inspiration. Au loin, un petit groupe patiente déjà devant l'amphithéâtre où on se réunissait pour les discours officiels ou les rassemblements.

Falcon m'accueille en compagnie de Terence Tucker, le nouveau conseiller d'orientation.

— Merci d'être venu, me dit le binoclard avec une poignée de main. Pas trop nostalgique de revenir au lycée ?

— Un peu. Si je me concentre, je peux entendre la voix stridente de Madame Cook hurler dans mes oreilles.

— Elle hante toujours la salle N°14.

Je souffle un rire, avant qu'il ne s'intéresse aux deux nouveaux arrivants.

— Phoenix Walker ! s'exclame Falcon. Je vois que tu as amené des renforts. C'est toi qui as réussi à convaincre Benji ?

Du coin de l'œil, le visage flou de Phoenix s'impose dans ma vision périphérique.

— Il n'a pas autant de pouvoir, j'affirme avant de m'éloigner.

Je profite de la diversion engendrée par Falcon et entre dans la salle de conférence. Une centaine d'élèves est déjà installée face à l'estrade, les yeux rivés sur leur téléphone portable. La vache, ils sont nombreux ! Je reste debout près de l'entrée en attendant que l'on me dise où me placer. Terence finit par arriver avec le reste du groupe, m'indiquant une rangée de sièges, en haut à gauche.

La rencontre des générations démarre avec la présentation d'un employé de Sutherland. Il ne reste pas longtemps sur l'estrade, intimidé par les regards des ados, et me lègue rapidement sa place. En moins de cinq minutes, j'évoque devant le micro en quoi consiste le métier de vendeur tout en sachant pertinemment que ça n'intéressera personne.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant