Chapitre 10 : Benji

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Michaela dort toujours quand je m'extirpe de son lit, vers huit heures du matin. Après les heures qu'on a passées à coucher ensemble, je ne m'attendais pas à ce qu'elle se lève aux aurores. Je lui lance en rapide coup d'œil en enfilant mes fringues, avant de quitter son appartement sans faire de bruit. C'est rare que je passe la nuit chez mes coups d'un soir. J'ai dû m'endormir sans même me sentir sombrer.

Pour la première fois depuis des jours, le soleil a réussi une percée à travers les nuages qui recouvrent Rockbury. La pluie s'est arrêtée, transformant la chaussée en une surface humide et réfléchissante.

Comme me l'a proposé ma mère, je fais un saut par le sud de la ville pour y récupérer mon déjeuner de ce midi. Je n'ai pas le courage de passer à la supérette pour m'acheter un sandwich, et son rôti avait l'air meilleur que ses pâtes au cheddar de la dernière fois.

Quand j'arrive sur Woodrow Avenue, je remarque la jeep de l'Adjoint garée derrière la Mustang de mon père. Je m'arrête le long de la pelouse en jugeant les fenêtres de la maison. C'est finalement sur le côté droit que je découvre mon père en compagnie de Phoenix en train de ranger du bois dans la remise. Mon pote a le dos tourné et ne me repère pas à ma sortie de voiture.

— Bennie ! s'écrie mon père en agitant sa main gantée. Regarde qui est là pour m'aider, ce matin ! Tu es venu te joindre à nous ?

— Non, je passe vite fait voir maman avant d'aller bosser.

Alerté, Phoenix repose sa bûche dans l'herbe en épongeant son front perlé de sueur d'un revers de manche.

— Toujours une bonne excuse pour fuir le travail manuel, hein ? renchérit mon père. Ta mère est avec ses amies dans le centre.

— Qu'est-ce qu'elle fait en ville ?

— C'est à propos de son truc en ligne... Des vidéos pour son clog.

— Son blog, Jerry, le reprend Phoenix.

— Oui, bon, c'est pareil. Allez, viens, Bennie ! m'incite-t-il.

— T'as bien dix minutes à nous accorder, relance mon pote en essuyant ses mains sur son jean.

— Non, désolé, je vais vraiment être en retard au boulot, et mon manager m'a dans le collimateur. Une prochaine fois, peut-être.

Je fonce dans la maison pour récupérer le Tupperware que m'a préparé ma mère, ainsi que des bricoles dans ses placards, puis je ressors aussi vite que je suis entré. Les feuilles mortes glissent sous mes pieds tandis que je traverse la pelouse humide à grandes enjambées. Au loin, les bûches s'entassent toujours dans le vieux cabanon, accompagnées par les grognements de mon père.

Soudain, d'autres pas viennent s'ajouter aux miens. L'herbe grince sous les grosses boots qui me talonnent. Sans me retourner, je finis par atteindre ma voiture et y monte. Du coin de l'œil, j'aperçois la silhouette de Phoenix qui s'avance vers moi, mais je me tire avant qu'il ne m'ait rejoint.

Le cœur comprimé dans ma poitrine, j'ose un regard dans mon rétroviseur. Ses cheveux roux m'hypnotisent jusqu'à disparaître quand je tourne à gauche d'une maison.

Mais qu'est-ce que je fabrique...

* * *

À Garden Center, les tâches que me confie mon supérieur m'évitent la masturbation intellectuelle. Je m'occupe toute la matinée à rempoter des fleurs, ranger les allées, arroser les plantes, faire de la place pour notre arrivage de citrouilles... Ma routine quotidienne est parfois interrompue par un ou deux clients qui viennent me demander conseil, mais ça ne dure jamais très longtemps. Je suis seul la plus grande partie de la matinée, et pour une fois, ça me dérange.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsWhere stories live. Discover now