Chapitre 5 : Phoenix

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Quelques jours plus tard,


    — Allez, les gaaaaars... Vous n'allez pas me garder ici toute la journée... J'ai des choses à faire, je dois travailler, ce n'est pas citoyen d'empêcher un honnête homme d'aller gagner son pain quotidien. Phoenix, mon grand, tu sais que tu peux me faire confiance, je te donne ma parole, je serai exemplaire.

    Assis à l'un des bureaux avec Connor dans la salle principale, je lance un regard las à Ronald Murphy. Coincé derrière les barreaux de notre cellule de dégrisement, et plus imbibé qu'une éponge, il vacille alors qu'il essaie de se maintenir debout. Il pose sa main sur son torse en signe de bonne foi. Qu'il se soit trompé sur la position de son cœur lui fait perdre le peu de crédibilité qui lui restait.

    — Je te laisserai sortir quand t'auras décuvé, alors, assieds-toi, car t'en as pour un moment.

    — Je pourrais perdre mon poste à cause de vous, tu t'en rends compte ? insiste-t-il d'une voix grisée.

    — Je préfère que tu te retrouves au chômage qu'avoir ta mort sur la conscience. Si j'apprends qu'on te laisse travailler à la scierie Sutherland dans cet état, on fera une descente là-bas, compte sur moi.

    Il grommelle une défense dans sa barbe mal rasée, mais je n'écoute déjà plus. Aller chercher Murphy rond comme une queue de pelle fait partie de ma routine. Généralement, on le trouve sur l'avenue Allen, vautré sur un trottoir avec une bouteille à la main ou dans le bar du coin à faire du grabuge. Aujourd'hui, il a voulu se rendre original. Il foutait le bordel dans l'une des boutiques du centre à l'heure d'ouverture quand on nous a appelés. À notre arrivée sur place, ce type à l'allure de débauché renversait les étalages et insultait les employés. On n'était pas trop de deux pour le maîtriser avant que je l'immobilise avec une clé de bras.

    Ces dernières années, le shérif Tucker lui a évité plus d'une plainte et son licenciement à la scierie. Ils sont amis depuis l'adolescence, mais ça ne devrait pas être une excuse pour tout lui laisser passer. De mon côté, je fais de mon mieux pour limiter la casse, parce que Ronald me fait pitié par certains côtés, mais sans pour autant le laisser agir impunément. Sa femme l'a quitté il y a dix ans, le laissant seul et sans enfant. Depuis, il a pris l'alcool comme épouse et ne l'a plus jamais lâché. Parfois, je me dis que j'aurais peut-être fini comme lui si je n'avais pas eu la famille Blackmon.

    Allongé sur le banc de la cellule, Murphy se met à pousser la chansonnette. Connor essaie de garder son calme, mais un tic nerveux remue la commissure de ses lèvres épaisses. Je fixe l'écran de mon ordinateur, quand il chante encore plus fort. Au moment où je me lève, le shérif fait son entrée, suivi d'un mec d'une vingtaine d'années aux cheveux peignés en raie. Son fils, Terence.

    Ronald se redresse aussitôt, tout sourire.

    — Ah, voilà le grand chef !

    — Salut, Ron, qu'est-ce que t'as encore fait, sale bougre ?

    — Rien de bien méchant, tu me connais, Lewis. Mais tes gars m'ont dans le collimateur.

    — Ils ont simplement peur pour toi, ce ne sont que des gamins, ils ne connaissent pas encore toutes les ficelles du métier.

    Il récupère les clés et ouvre la cellule. Je suis sur le point de m'interposer, quand Connor me fait signe de ne rien dire.

    — Tu te souviens de mon fils ? lui adresse Tucker.

    — Ouais, ouais, bien sûr, le petit Terence.

    Ledit « petit Terence » retient sa remarque en souriant, mal à l'aise. Tucker entraîne Murphy par l'épaule et ils partent tous les trois s'installer dans son bureau. Je me rassois sur ma chaise et balaye ma mâchoire carrée d'un geste agacé. Rapidement, des rires retentissent derrière la porte close, accompagnés d'une forte odeur de café.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant