Chapitre 24 : Benji

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     Dix ans plus tôt, novembre 2008

     J'ai toujours été prudent. Il m'arrivait parfois de faire des conneries, comme tous les ados de mon âge, mais en général, je faisais attention. À moi, à Phoenix, à ne pas me fourrer dans des situations embarrassantes. Pourtant, l'année de mes quatorze ans, mon instinct m'abandonna.

     Vautré sur le canapé du salon, je m'ennuyais à mourir. On était mercredi après-midi, et j'avais fini les cours plus tôt que d'habitude. Malheureusement, je ne pouvais pas en profiter avec mon meilleur ami, car il était en retenue depuis la pause déjeuner. Le prof d'histoire n'avait pas supporté qu'il lui tienne tête pendant le cours, et maintenant, il devait purger une peine de deux heures de colle.

     Bien joué, l'artiste !

     Pour passer l'ennui, j'observais ma mère et mon père qui allaient et venaient dans la maison. Sans savoir comment occuper le reste de la journée, je glandais lamentablement. J'avais besoin de mon binôme pour terminer le dernier niveau sur la console, j'avais la flemme de lire un bouquin, et il faisait trop froid pour aller dehors. Ça agaçait mon père que je reste planté là à ne rien faire pendant qu'il s'activait à réparer une fuite d'eau qui inondait la salle de bain.

     D'après ce que j'avais compris, une canalisation avait gelé et pété. Le cadre de l'entreprise Morelli était à cran. Il avait dû rentrer plus tôt de l'usine pour aider sa femme submergée par la catastrophe. Le plombier était lui aussi surchargé de boulot et ne pouvait pas venir avant le lendemain matin.

     — Tu ne peux pas te rendre utile, Bennie ! me lança soudain mon père en passant à côté de moi avec une serpillière dans les mains. Fais quelque chose.

     — Je fais quelque chose, répliquai-je. Je me fais chier.

     Il lâcha un grognement exaspéré qui me fit sourire. Je me retournai sur le ventre pour mieux le regarder par-dessus l'accoudoir du canapé.

     — Et si tu allais aider Ron à rentrer son bois ? me proposa-t-il. Je lui avais dit que je viendrais, mais comme tu le vois, je suis un peu occupé.

     — On se les pèle dehors, répondis-je en me replaçant sur le dos. Et j'ai la flemme.

     — Ça t'occupera, et ça lui rendra service, une pierre deux coups. En ce moment, il a besoin de se changer les idées.

     Depuis la rupture avec sa femme, quelques mois auparavant, l'ami de mon père se renfermait sur lui-même. Selon ma mère, cette séparation l'avait anéanti. Il passait le plus clair de son temps chez lui à ruminer et à boire. Parfois, il venait à la maison pour regarder le foot avec mon père et Jered Fox, puis il retournait s'isoler dans son chalet à l'orée des bois.

     — Ton père a raison, Bennie, intervint ma mère en entrant dans la pièce.

     Ses cheveux avaient été relevés en chignon et une tache d'eau s'étalait sur sa poitrine. Je jetai un coup d'œil à travers la porte vitrée du salon, observant le givre qui recouvrait la pelouse. Voyant mon air réticent, mon père utilisa son arme secrète :

     — Si tu y vas, je doublerais ton argent de poche, ça te va ?

     Je me redressai d'un bond, mais ma mère s'empressa de protester:

     — Jerry ! On a dit qu'on ne fonctionnait pas avec la carotte ! Si Benji veut y aller, ça doit venir de lui.

     — J'y vais, m'exclamai-je en quittant le canapé.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsWhere stories live. Discover now