Chapitre 3 : Phoenix

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    Extirper Benji de son lit lors de son jour de congé est un challenge, mais je ne recule jamais devant rien. Alors samedi, à onze heures cinq, je m'arrête en bas de son immeuble. Il est ponctuel, comme toujours. Il m'attend déjà avec un sac à dos ainsi qu'un bomber enfilé par-dessus un gros pull en laine. Le temps grisâtre et la brise humide n'ont pas l'air de l'enchanter, mais il m'adresse quand même son grand sourire de branleur en me voyant. Il grimpe dans ma Jeep et je croise son regard bleu rendu lointain par le sommeil.

    — T'es en retard, dit-il en s'attachant.

    — À peine cinq minutes.

    Il pose son sac à dos entre ses pieds chaussés de boots qui ont remplacé ses baskets habituelles.

    — Je vois que tu t'es équipé, j'ajoute en démarrant.

    Il acquiesce un truc incompréhensible tout en baillant dans la paume de sa main.

    La propriété de Sinclair où on se rend se trouve au nord-ouest de Rockbury, perdue dans les bois. Après avoir quitté la ville par la Nationale, je m'engage sur une piste recouverte d'un tapis de feuilles mortes et percée de flaques boueuse. La Jeep s'y engouffre sans problème avant d'atteindre la maison en bois. Un haut portail blanc nous arrête et nous oblige à finir les quelques mètres en marchant.

    Le cinquantenaire nous attend de pied ferme sous le porche, son chien de chasse assis à sa droite. Je ne discute pas longtemps avec lui, ayant entendu son histoire une bonne dizaine de fois lors de ses visites au bureau du shérif. D'après lui, quelqu'un s'infiltre sur son terrain et il veut que la police intervienne. Ça fait un mois que Tucker lui promet de lui envoyer un agent sans bouger le petit doigt. Il aura fallu que je prenne un moment sur mon temps libre pour qu'enfin, Sinclair ait un geste de notre part.

    Même si je porte mon uniforme d'Adjoint, je laisse mon chapeau dans la Jeep. Un flic n'est pas censé exercer en compagnie d'un civil, mais Benji n'est pas n'importe lequel. Et je ne voyais pas l'intérêt de traîner Robin ou un autre ici. Je ne me considère pas totalement en service, disons que je fais ça par conscience professionnelle, et parce que c'est un bon moyen de lier l'utile à l'agréable.

    Après avoir reçu quelques directives du propriétaire, je le laisse afin d'aller examiner sa clôture. Benji abandonne le chien avec lequel il jouait pour me suivre. On ressort par le grand portail, puis on part faire le tour du domaine qui s'étend sur plus d'un hectare.

    Le bois aux couleurs automnales autour de la propriété est rempli de châtaigniers. Leurs bogues ouverts jonchent l'herbe humide, ne demandant qu'à être débarrassés de leur fruit. Benji s'en donne à cœur joie. Il avance derrière moi avec un sac en plastique et profite de mes arrêts le long du grillage pour ramasser des marrons pour sa mère, Nelly. Il lâche quelques jurons en se plantant les doigts sur les aiguilles, se suçant l'index ou le pouce pour apaiser la piqûre.

    Après avoir déblatéré sur le Welsh Springer Spaniel de Sinclair, il déclare alors qu'on se remet à avancer :

    — Tu devrais prendre un chien pour tes soirées de solitudes.

    — Pour quoi faire ?

    — Il te tiendrait chaud l'hiver et te ferait sortir.

    — Ce n'est pas déjà ton rôle ?

    Un bogue piquant heurte l'arrière de mon crâne. Je me retourne vers Benji en le fusillant du regard, mais un rictus trahit mon reproche.

    — Enfoiré, je souris malgré moi.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant