Chapitre 8 : Phoenix

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Aujourd'hui, octobre 2018

    On a beau donner un rythme à notre cœur, au final, il joue sa propre mélodie, un jazz d'émotions qui trouve un sens et une beauté dans le chaos.

    Depuis la fête de sirop d'érable, quelques jours plus tôt, je n'ai pas retenté d'approche avec Benji. Le contact de ses lèvres est resté imprimé sur les miennes, m'incitant à les réclamer de nouveau. Mais je sens qu'il est perdu quant à ce que j'ai engendré entre nous. Je le suis aussi, tournant en rond dans un labyrinthe qui finira par me faire sombrer dans la folie si je ne m'en délivre pas.

    Je désire mon meilleur ami, je rêve de l'embrasser, d'avoir l'autorisation de le toucher, sans perdre ce qu'on a acquis avec les années pour autant. Je n'ai pas pour idée de remplacer notre amitié par du sexe, j'aimerais simplement plus. Et ce plus m'obsède.

    Au milieu de cette tempête émotionnelle, mon boulot est l'ancre qui me permet de rester accroché au rivage. Je me plonge dedans comme chaque fois que le désordre s'installe dans mon esprit. Je trouve dans mon travail de flic une maîtrise et un ordre qui me sont nécessaires. Chaque problème a sa solution, c'est ainsi que fonctionne la justice. Sauf quand on est sous la juridiction d'un shérif comme Lewis Tucker.

    Cet après-midi, Ronald Murphy a encore fait des siennes. Complètement soul au volant de sa voiture, l'ivrogne a fait une sortie de route dans un lotissement et a fini sa course dans une pelouse. Sa Chrysler Voyager de 1984 a pulvérisé la boîte aux lettres de la famille Hughs et s'est encastrée dans leurs haies. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. Mais la mère de famille ne l'entend pas de cette oreille, elle est folle de rage, et on peut la comprendre.

    — Il vous rachètera une boîte aux lettres, ce n'est que du bois, défend Tucker fatigué par ses états d'âme.

    — Il aurait pu tuer mes enfants ! Imaginez qu'ils aient été en train de jouer devant la maison ?! Cet homme mérite de croupir en prison ! C'est un danger public !

    — Vos gamins n'auraient rien eu à faire dehors sans votre surveillance, Madame.

    — Vous insinuez que je suis une mauvaise mère ?! Non, mais je rêve !

    Le voisinage, attiré non seulement par l'accident, le gyrophare de la Jeep, et maintenant les cris, se pressent sous leur porche pour intercepter quelques bribes. Voilà un évènement de plus qui alimentera les bridges des retraités et les repas de famille. Tucker perçoit les regards rivés sur lui et cale ses mains sur sa ceinture dans un geste de supériorité. Bombant le torse dans son uniforme, il juge son interlocutrice par-dessous son chapeau.

    — Écoutez, Madame, il n'est rien arrivé à vos gamins, soutient-il plus fermement. Alors, arrêtez de m'emmerder ! On ne va pas en faire tout un plat pour quelques dommages matériels, Murphy va vous rembourser tout ça.

    — Il s'agit de la sécurité de mes enfants ! Je me fiche de son argent !

    — Je ne vais pas coffrer un homme sur des suppositions, sinon toute la ville serait derrière les barreaux !

    La petite brune un peu rondelette s'apprête à répliquer, mais Tucker l'arrête en lui tournant le dos.

    — Faites le monter, Walker, on va régler cette histoire au poste.

    Je m'exécute et referme la portière derrière Ronald. Le shérif s'installe à l'avant de la Jeep tandis que je fais signe à Madame Hughs de nous suivre. On rentre au bureau, suivis par la citadine, et le débat reprend une fois dans nos locaux. J'enregistre la plainte de la propriétaire de la boîte aux lettres défoncée pendant que Tucker se charge de Murphy. Ce dernier s'en est sorti indemne, une fois de plus, mais c'était l'écart de trop.

ROCKBURY - Le poids de nos secretsNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ