L'oiseau sans ailes (Tome 1)

Chapitre 64 : Douce liberté ...

Màni

Màni sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine sans se calmer depuis de longues heures. L'aube se levait à peine devant eux et toujours rien. Pas une trace d'Aélis. Ils auraient pu suivre les traces de la charrette mais il y en avait bien trop sur les grandes routes. Des vingtaines de traînées dans le sol boueux après la pluie drue de cette nuit. Épuisé, Màni ne savait même pas comment il pouvait encore tenir en selle. Sans doute par peur. Il tenait pour Aélis. Et il la retrouverait. Rollon n'était pas en meilleur état mais lui aussi ne faiblissait pas, observant avec frénésie tout autour de lui. Et alors, Màni pensa à quelque chose.

- Pourquoi aurait-il suivi la route ? Il savait que nous nous lancerons à sa poursuite.

- Tu crois qu'il voyage par les bois ?

- Oui.

- Mais il a dû abandonner la charrette pour passer par les bois.

Oui ... Et cette fichue charrette semblait avoir disparu de la surface du monde. Runa ne dit rien, chevauchant près de Màni en silence. Accompagnés de cinq autres guerriers, ils ratissaient la route menant vers le Sud-Ouest depuis plusieurs heures mais en vain. Rien ... Pas une trace d'Aélis ... Màni ne voulait pas perdre espoir mais il avait si peur. Si peur de la perdre pour toujours ... 

Il prit une profonde inspiration, essayant de chasser son inquiétude. Il avait besoin d'avoir l'esprit clair pour réfléchir. Penser comme le ravisseur ... Qu'aurait-il fait s'il avait enlevé la Dame du Maine et qu'il savait que les Normands ne tarderaient pas à le poursuivre ? Déjà, il se serait débarrassé discrètement de la charrette pour continuer à cheval, ce qui était bien plus discret et bien plus rapide. Et il aurait caché la charrette dans un fourré sur le coin de la route ... Le ravisseur d'Aélis ne pouvait pas l'avoir cachée dans la forêt. Cela aurait pris trop de temps de la bouger ... Mais si quelqu'un avait vu une charrette abandonnée et l'avait volée ? Alors il n'aurait aucun indice pour la pister et la retrouver ... Non. Il devait garder la foi.

- Là ! s'écria soudainement Runa.

Màni tira sur les rênes de sa monture et suivit des yeux la direction que pointait le doigt de Runa. Elle avait raison. Une roue en bois était cachée sous des fougères. Jamais Màni ne l'aurait vu seul ... Il se remercia d'avoir accepté que Runa l'accompagne même s'ils venaient de se disputer à propos d'Aélis. 

Rollon mit rapidement pieds à terre et, aidé d'autres guerriers, ils retirèrent les branchages de la charrette. Màni descendit aussi de son cheval en même temps que Runa. Il devait lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'ils étaient partis.

- Pourquoi fais-tu cela ? Je sais que tu détestes Aélis ...

La châtain tourna ses yeux noisette vers lui.

- Je ne veux pas te gagner ainsi.

Elle ne dit rien de plus et s'approcha de la charrette. Pas le gagner ainsi ? Que voulait-elle dire ? Elle voulait le gagner à la loyale ? Pas après la disparition d'Aélis ? Màni n'était pas un trophée ! Mais il se préoccuperait de cela plus tard. Au moins, Runa l'aiderait à trouver Aélis et elle ne ferait pas celle qui ne voyait rien. C'était déjà ça ... Màni aurait tout donné pour qu'Ivar soit là ... Lui saurait quoi faire. Le jeune homme se sentait si démuni sans son aîné.

Il s'approcha à son tour de la charrette. C'était probablement celle qu'il cherchait. Il y avait pleins de tissus ... Du lin, de la laine ... Un gros carré de laine ... Assez pour cacher un corps ... Était-ce ... ?

- Il a sans doute assommé Aélis, réfléchit Rollon, l'a enroulée dans cette étoffe et sortie de la ville sans attirer l'attention des gardes.