Chapitre 30 : La pomme ne tombe jamais bien loin de l'arbre

2.6K 291 171
                                    

Aélis

Comme convenu, Rollon nous avait bien emmenées à Chartres. La ville était déserte de tout hommes ou femmes francs. Il n'y avait que des normands partout. Beaucoup nous avaient observées, surpris, mais quand ils avaient demandé si nous étions de nouvelles prises, Rollon avait rapidement répondu que nous étions ses invitées. Et si j'étais la première à me demander pourquoi nous bénéficions d'une telle faveur, je n'allais pas m'en plaindre. 

Grimpée sur le cheval de Julienne, je découvris avec horreur les ruines de la cathédrale, dévastée par l'attaque des normands, ainsi que beaucoup d'autres bâtiments. Les Normands ne semaient que mort et désolation sur leur passage ... Julienne se mit à trembler devant tous ses regards scrutateurs mais elle tint bon. Je savais que tant que nous étions sous la protection de leur chef, ils ne nous feraient rien. Mais si Rollon décidait de nous trahir... Il avait prêté serment mais pouvais-je vraiment le croire ? Il n'était probablement pas mon ami ... D'ailleurs, je ne comprenais toujours pas ce qui l'avait poussé à faire cela. Mais avais-je d'autres choix ? Paris était encore loin et jamais nous ne n'y arriverons avec un seul cheval.

Rollon nous conduisit dans un grand bâtiment en pierre et qui devait sans doute être l'ancienne habitation de l'évêque de la ville. Mais ce dernier n'était plus là pour la réclamer. Soit il était mort, soit en fuite. Dans un cas comme dans l'autre, il y avait peu de chance que nous le croisions ici. Il y avait peu de chances que nous croisions des francs tout court, autre que des esclaves. 

Le chef normand nous avait assuré une nouvelle fois que nous étions ses invitées et des esclaves nous conduisirent à nos chambres. Celle de Julienne se trouvait juste à côté de la mienne. Et je n'avais pas à me plaindre. La pièce était assez grande, bien plus que la tente dans laquelle j'avais été prisonnière durant plusieurs jours. La seule condition de Rollon était que nous le rejoignons pour le dîner du soir.

Après m'être changée et avoir pris la robe sans doute normande que m'avait fait porter Rollon, je m'étais rendue au dîner. En tout cas, la robe ressemblait à celle que je portais quand je n'étais encore que la prisonnière des deux frères. Une longue tunique blanche par-dessus laquelle était posée une robe sans doute en laine, maintenue à la hauteur des épaules par deux fibules. Le tissu de ma robe avait été teint en bleu, ce qui révélait une grande richesse mais le jarl Rollon était sans doute un homme riche. N'avait-il pas pris Chartres et ravagé les terres du Nord de la Francie ? En tout cas, c'était fort différent des longues robes que je portais en tant que comtesse du Maine, marquée à la taille par une ceinture. Mais ma tenue n'avait aucune importance. Ce qui en avait bien plus était ma curiosité. J'étais bien déterminée à comprendre pourquoi Rollon était si amical envers nous. Et comment avait-il deviné que j'étais la comtesse du Maine ? Tant de questions qui restaient sans réponse. Et je me fis le devoir de trouver ces réponses. 

Julienne avait refusé de se joindre à moi, arguant qu'elle était trop fatiguée. Elle avait sans doute peur mais je ne pouvais lui en tenir rigueur. Moi aussi. Mais, encore une fois, ma curiosité était bien trop grande.

Nix trottinant dans mes pas, je fus conduite par une esclave franque jusqu'à une grande salle en pierre, où des grandes colonnes en pierres soutenaient un plafond tout aussi impressionnant. Là, une grande table avait été dressée, mais il n'y avait que Rollon. C'était assez incongru de voir un homme manger seul dans une si grande pièce ... Il leva les yeux à mon approche et me fit signe de venir m'asseoir près de lui. Je m'exécutai, gardant le visage fier comme me l'avait appris ma mère.

- Ton amie ne se joint pas à nous ? me demanda-t-il, constatant que j'étais seule.

Il avait spontanément utilisé le norrois en ma présence alors je répondis dans sa langue. Jamais je n'avais autant remercié ce prêtre d'avoir passé de longues heures à m'apprendre cette langue. Même si je n'étais pas aussi enjouée enfant.

L'oiseau sans ailes (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant