Chapitre 54 : La fierté d'un père

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Judith

Judith poussa un long soupir, son regard s'égarant vers le plafond en pierre au-dessus de sa tête. Elle ne cessait de contempler ce plafond, peinant à trouver le sommeil. La nuit était déjà tombée depuis longtemps sur le Mans. Drogo ronflait près d'elle, sans se préoccuper le moins du monde de ce qui venait de se passer aujourd'hui. Mais elle ... Elle ne pouvait penser à autre chose. Les mots d'Aélis la hantaient. 

Était-ce vrai que le peuple la traitait de catin dans son dos ? Judith s'était toujours moquée de ce que pouvait penser les autres d'elle mais pourtant ... N'était-ce pas ce qu'elle était en fin de compte ? Une femme offrant sa vertu à un homme en espérant que ce dernier la protège. Avait-elle d'autres choix ? Sans Drogo, elle n'était rien. Sans Drogo, elle ne pourrait rester ici. Elle n'avait aucun droit sur le Mans. Sans Drogo, elle était une bâtarde. 

Depuis la mort de son père chéri, elle vivait dans la peur constante. La peur d'être exilée ... Et c'était ce qu'Aélis voulait lui réserver ... Son père l'avait prévenue voilà bien longtemps. Aélis essayerait de la détruire et elle devait prendre les devants pour que cela n'arrive pas. Alors elle avait séduit son prétendant. Sans grand effort, d'ailleurs. Une fois que Drogo lui appartenait corps et âme, elle avait ourdi ce complot pour faire assassiner sa demi-sœur par les Normands. Mais rien ne s'était passé comme prévu ... Maintenant, Aélis était une alliée de ces hommes, mais pire encore, elle avait le soutien du roi des francs ... Le comte de Paris ne s'était-il pas battu pour elle ?

Judith avait entrevu un dernier espoir aujourd'hui, lors de ces négociations. L'espoir fou de se débarrasser une bonne fois pour toute d'Aélis et de ne plus vivre dans cette peur constante qui lui empoisonnait l'existence. Mais les hommes qu'elle avait envoyés à sa poursuite l'avait perdue une fois encore ... D'après eux, elle avait sauté dans le fleuve et rallié les navires normands. Elle était probablement déjà loin ... Où se rendrait-elle ? À Paris ? Auprès de son cousin ? Si le roi envoyait des troupes pour reprendre le Maine ... 

Le cœur de Judith s'affola dans sa poitrine à cette simple idée. Non. Elle ne pouvait pas perdre. Pas après tous les sacrifices qu'elle avait dû faire ... Si elle faisait tout cela, c'était pour son père. L'homme qu'elle avait chéri plus que tout au monde. Sa mère était morte en la mettant au monde et elle n'avait jamais eu que lui. Hildegarde l'avait repoussée, refusant de s'occuper de l'enfant d'une autre. Peut-être que Judith avait toujours rêvé de son attention en fin de compte ... Et elle était jalouse de voir cette mère si présente avec Aélis, même avec Lothaire, cet enfant des rues ! Il n'était rien mais il avait plus d'affection qu'elle !

Drogo se retourna soudainement vers elle, son visage enfoncé dans l'oreiller en plumes. Judith n'en pouvait plus. Elle repoussa doucement les couvertures de son corps et sortit du lit de son amant. Elle s'enroula dans un châle, ouvrit le plus doucement la porte en bois et sortit dans les couloirs sombres de l'ancien palais romain. Elle referma la porte derrière elle et disparut dans les entrailles sombres du palais. Elle avait besoin de réfléchir et de ne plus entendre le ronflement bruyant de Drogo à son oreille.

Elle revit le regard froid qu'Aélis avait posé sur elle. Elles n'avaient jamais été des sœurs, seulement deux petites filles vivants ensemble sous le même toit. Rien de plus. Et peut-être n'était-elle-même pas sœurs ? Hildegarde avait fauté avec un normand. Et maintenant sa fille faisait de même ... Le sang souillé de la mère était celui de la fille ... Mais Judith avait perdu son calme. Jamais elle n'aurait dû avouer à Aélis qu'elle voulait la tuer ... Jamais elle n'aurait dû faire cela ... C'était avouer sa faiblesse. Mais sa colère avait dépassé ses pensées. 

Et quand ce normand l'avait frappé au ventre ... Elle n'avait rien, excepté un bleu mais Drogo avait tenu à ce qu'elle se repose, pour ne pas risquer de perdre l'enfant. Enfant qu'elle ne portait pas. Malgré sa volonté pour concevoir, elle n'y parvenait pas. Et si elle n'y parvenait pas ... Que ferait Drogo ? Se lasserait-il d'elle avant de la condamner à l'exil ? Elle devait assurer sa place et faire taire toutes les rumeurs à son sujet. Elle deviendrait l'épouse de Drogo et régnerait sur le Maine en tant que comtesse comme son père l'avait toujours voulu pour elle. Voilà son destin. Elle ne devait pas douter maintenant. Et elle savait ce qui lui restait à faire pour y arriver. Elle devait concevoir. Peut-être que Drogo était infertile ... Incapable de lui donner un enfant ...

L'oiseau sans ailes (Tome 1)Where stories live. Discover now