L'oiseau sans ailes (Tome 1)

Chapitre 19 : Régner par le sang

Judith

- Que dis-tu ? s'exclama Judith, se relevant d'un bond du siège dans lequel elle était assise. Aélis est en vie ? C'est impossible !

L'homme du Nord devant elle haussa les épaules, nullement ému de la surprise de la jeune femme. Comment était-ce possible ? Aélis était morte ! Drogo l'avait vue tomber dans ce précipice de ses propres yeux ! Et personne n'échappait à la mort après une telle chute ! C'était forcément un mensonge ! Un mensonge pour les forcer à payer cette somme saugrenue qu'ils ne cessaient de demander !

Les mains de son amant se resserrèrent nerveusement au bord de son siège.

- Je l'ai vue tomber dans le vide ... murmura-t-il, éteint. Comment ... ?

L'homme du Nord poussa un long soupir après la traduction d'un clerc qui avait appris leur langue vulgaire de sauvage !

- Je l'ignore mais elle est en vie, ça je peux vous l'assurer. Et nous la détenons.

- Peut-être n'est-ce qu'un mensonge ? répliqua Judith, sa longue robe en velours bleu s'étalant autour d'elle avec majesté. Peut-être n'est-ce qu'une ruse pour nous contraindre à vous payer ? Ma chère demi-sœur n'est plus de ce monde !

Il ne pouvait en être autrement. Le Normand fouilla alors dans sa tunique d'un rouge passé, coincée derrière une broigne, et en sortit une broche somptueusement décorée. Elle était en or, représentant un aigle prenant son envol. Judith la reconnaîtrait entre mille. C'était bien celle d'Aélis. C'était sa mère qui la lui avait offerte, lui rappelant sans cesse qu'elle était une descendante du Grand Charlemagne. Alors que Judith, elle, n'était rien. Condamnée pour l'éternité à vivre dans l'ombre flamboyante de sa demi-sœur ...

- Ceci pourrait-il vous convaincre ? ricana le normand.

Judith ne répondit pas mais ce ne fut pas le cas de Drogo qui se leva d'un bond de son siège. Le Normand lui rendit la broche sans sourciller.

- La broche d'Aélis ... murmura son amant. Alors elle est en vie ...

Depuis qu'elle était morte, Drogo n'était plus le même. Il semblait soudainement bien abattu par la mort de son épouse alors qu'il ne lui avait jamais témoigné une once d'attention. Et soudainement, il pleurait et priait tous les soirs pour son âme. Judith avait-elle commis une erreur ? Drogo avait affirmé vouloir se débarrasser d'Aélis pour la prendre elle comme épouse mais s'il doutait désormais ? Et maintenant qu'Aélis était peut-être encore en vie ... Drogo n'allait pas se retourner contre elle ... Si ? Non, cela ne pouvait arriver. Il ne pouvait pas faiblir maintenant !

- Cela ne prouve rien ! objecta Judith, croisant les mains devant sa longue robe. Vous auriez très bien pu retrouver cette broche sur le bord de la rivière et nous berner.

- Voulez-vous que je vous apporte un bout de son corps la prochaine fois ? Elle peut vivre sans l'un de ses membres ...

Drogo frémit. Éprouvait-il des sentiments pour cette ingrate en fin de compte ? Pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui avait changé ? Judith ne comprenait plus rien. Il était d'accord pour livrer Aélis aux Normands et s'assurer qu'elle y meure. Pourquoi remettait-il tout en cause maintenant ?

- Non, n'en faites rien ! s'exclama Drogo, sa main se resserrant autour de la broche de sa défunte épouse.

Enfin, elle ne ressemblait plus à un fantôme ... Aélis ne pouvait-elle pas se briser le cou dans cette rivière ? Pourquoi fallait-il qu'elle se retrouve toujours sur son chemin ?

- Comment se porte-t-elle ?

Judith lui décocha un regard insistant mais Drogo ne la voyait même plus. Tout ce qui l'intéressait était ce misérable Normand qui apportait avec lui des nouvelles de cette catin ! Judith était presque certaine qu'Aélis avait trompé son époux avec Lothaire.