Dear Mom & Dad,

865 96 13
                                    

Papa, Maman,

Il était peut-être temps que je vous écrive puisque de tous les mots que j'ai écrits durant ces deux ans, aucun ne vous était destiné. Sans doute parce que je ne savais pas quoi vous dire, plus probablement parce que j'avais peur. Quand on s'adresse aux personnes qui ne sont plus là, il n'y a que les regrets qui priment et ce n'est pas comme ça que je veux vous garder dans ma mémoire. Et pourtant, chaque fois que l'on vous mentionne, je vous revois morts dans l'avion ; je ne perçois que les parents que je n'aurais plus au lieu de voir ceux que j'avais. C'est cette image qui s'impose à moi, malgré tous mes efforts pour la chasser.

Je voudrais immédiatement t'imaginer en train de regarder une de ces telenovelas que tu ne pouvais t'empêcher de regarder, Maman. Je voudrais réentendre les excuses bidon que tu débitais à la minute chaque fois que l'on te surprenait. Je voudrais sentir juste une dernière fois les chatouilles que tu nous infligeais en guise de punition si on avait le malheur de le répéter à toute la famille.

Papa, quand on parle de toi, je voudrais revoir ton air si sérieux quand t'étais plongé dans tes bouquins. Je voudrais que tu me racontes encore et encore ce que tu tirais de ses lectures, comme toutes ces heures durant lesquelles tu as partagé ta culture avec nous. Aussi, je voudrais évoquer la main fière que tu posais dans notre dos quand on prenait la peine de t'écouter et surtout de retenir tes mots. C'était ton petit bonheur, car t'avais le fort sentiment de nous transmettre quelque chose de bon.

Je voudrais penser à l'amour qui rayonnait entre vous. Je suis sûr qu'on n'en mesure pas l'étendue tant il était immense. Vous vous aimiez tellement au grand jour alors qu'en était-il de tout ce que l'on ne voyait pas ? Je suis content que vous vous soyez trouvés et que vous ayez pu vivre votre bonheur à deux, jusqu'au bout. Je n'oublierai jamais que vous profitiez de la moindre occasion pour vous enlacer, que vous passiez votre temps à vous taquiner, que vous ne traversiez pas une journée sans vous adresser un de ces regards dans lequel vous partagiez beaucoup. Votre amour est de ceux qui se renouvellent pour ne jamais mourir.

Ce sont toutes ces choses que j'aimerais dire à Billie lorsqu'elle demande à en savoir plus sur vous, car sa mémoire lui fait défaut. Mais, je vois votre mort et alors, toute la joie de mes souvenirs est balayée par ma peine. Quelques fois, je les envie. Billie ne se souvient pas de tout ; Garrett ne garde que les bons côtés. Peut-être que c'est ce qui m'a rendu si exécrable, cette jalousie. Cette rancœur d'avoir vécu toute cette souffrance, toute votre souffrance. Mais je vois un psy en ce moment qui m'a fait remarquer qu'ils pouvaient ressentir la même chose eux aussi, car au moins j'avais pu être avec vous, même dans le pire moment.

J'y réfléchis et je commence à croire qu'il a raison. J'ai pu tenir ta main, maman, te dire que je t'aimais. Et tu étais à mes côtés, droit et courageux comme toujours, papa. C'était une chance. C'était une chance de pouvoir vous dire au revoir, sans dire quoi que ce soit, parce que même si j'ai cru mourir moi aussi ce jour-là, je me suis senti aimé, et ce jusqu'au dernier instant.

Pendant longtemps, j'ai regretté votre mort autant que ma vie.

Mais, si je viens enfin vers vous aujourd'hui, c'est pour vous dire que je ne me suis peut-être pas retrouvé, mais que je me suis reconstruit. J'accepte de ne plus être le même Leander qu'avant, car je crois que celui que je suis en train de devenir me convient. Il vous conviendrait aussi. Ce Leander a encore peur, traîne toujours son boulet de tristesse, mais il est quand même fort. Il se bat pour faire tout ce qu'il ne faisait pas avant. Il sourit plus qu'il ne pleure, il pense davantage à l'avenir qu'au passé, il essaye de croire en lui au lieu de se rabaisser. Il se laisse une chance. Il s'autorise à vivre sans vous. Et ce n'est pas facile... Mais, il y arrivera.

J'y arriverai.

Je suis bien entouré, si vous saviez... Maman, tu peux être fière de ta grande soeur. Fidèle à elle-même, Joan nous a pris sous son aile dès le premier jour et depuis, n'a cessé de nous aimer comme ses propres enfants. Parfois, je me dis qu'en fait, elle l'avait toujours fait, nous porter dans son coeur et nous border d'un amour inconditionnel. Même quand je n'étais pas capable de m'en rendre compte. Même quand je repoussais son affection parce qu'elle me rappelait bien trop la tienne. Et quand je pensais ne pas la mériter, elle a tout fait pour me démontrer le contraire. À ses côtés, Chris est tout aussi fabuleux. Il m'a ouvert ses bras avec patience et ne semble plus vouloir les rouvrir maintenant qu'ils se sont fermés autour de moi. Il me procure un sentiment de sérénité que je ne pensais jamais retrouver sans toi, Papa.

Il y a évidemment Garrett dont vous seriez encore plus fiers que vous ne l'étiez déjà. Il construit sa vie comme le plus grand des architectes et de temps en temps, érige des tours où l'on peut se réfugier. Plus il grandit, plus il devient une personne exemplaire. Mon exemple. Et Billie nous prouve chaque jour qu'elle n'a pas besoin d'être couvée pour vivre dans ce monde sévère. Elle envoie balader le moindre souci à coups de sourires et d'excentricités. Je suis reconnaissant de pouvoir continuer de grandir avec eux.

Et mes proches que vous ne connaissez pas. J'en ai rencontré des personnes fabuleuses sur mon long et triste chemin. Je suis certain que vous auriez adoré Nora et sa gentillesse éternelle ; Ayden et sa fureur de vivre ; Isaiah et Regan pour leur courage et leur humour débordant, Maddie que j'aime un peu plus chaque jour... Et puis, Lieth, Nills, Mia, Harry, Zach, Eliam, Lou qui m'ont accueilli et intégré dans leur groupe. Ils m'ont éclairé le chemin quand je n'avais plus la force de tenir le flambeau. Enfin, ce n'est qu'une stupide métaphore pour vous dire qu'avec eux, ma vie a emprunté de belles directions.

Ma vie continue et dorénavant je la mène pour vous. Pour vous remercier de l'avoir démarrée en premier lieu. Puis aussi, pour moi parce qu'en fin de compte j'en suis le leader. Je sais dorénavant que je peux compter sur moi-même. J'ai appris ce qu'était la résilience. J'ai découvert que j'étais capable de surmonter bien des choses. J'ai traversé le rejet, la solitude, la violence, la haine, l'angoisse, la jalousie. Ces deux ans m'ont paru comme toute une vie et j'en ressors changé.

J'ai des tas de raisons de vous remercier ; elles ne tiendraient pas en une seule lettre. Vous avez été des parents précieux, à la fois confidents et souverains. Vous nous avez éduqués avec beaucoup de bienveillance et de fermeté. Vous nous avez couvés, écoutés, grondés, punis, amusés, instruits, aimés. Vous nous avez aimés par les mots ou les non-dits, les gestes, les décisions... Vous m'avez aimé profondément lorsque vous avez accepté de m'amener en vacances chez Ashiki. Toi maman, tu savais comme ça comptait réellement pour moi. Tu as su lire mes émotions. Papa, dans ton habituel altruisme, tu voulais m'offrir ce bonheur.

J'ai beaucoup culpabilisé de vous avoir ôté la vie avec mes souhaits d'enfant gâté, mais je réalise qu'au fond je cherchais juste un coupable là où il n'y en avait pas. Y'en a pas. Et rien n'expliquera jamais cette injustice, votre mort et celle des centaines d'autres personnes. Rien n'expliquera jamais non plus ma survie, mais peut-être que moi je peux essayer de lui donner un sens.

Je veux faire le bien autour de moi. Et en moi. Je veux profiter du quotidien, je veux faire de mon mieux, je veux aller le plus loin possible. Je veux traverser cette vie en la vivant à chaque seconde. Je ne veux plus courir pour la fuir. Ou fermer les yeux pour ne plus la voir passer. Je veux triompher du malheur qui a régi ma vie pendant deux ans. J'veux plus avoir à survivre ou à me battre. Je veux être là, c'est tout. Et vivre. Pas à moitié, parce qu'Ayden me tuerait. Grâce à lui, je commence tout ça à ses côtés. Je pense m'en sortir plutôt bien depuis quelques mois.

Lors de l'accident, je vous ai accompagnés jusqu'au bout. J'espère que, de là où vous êtes, vous m'accompagnerez aussi. Jusqu'à mon dernier souffle.

Vous me manquez. Vous nous manquez terriblement. À Garrett, Billie & moi. Comptez sur moi pour prendre soin d'eux autant qu'eux prennent soin de moi. À trois, ça ira.

Merci pour tout.

Je vous aime.


Leander Hollington Wooten


His Cheerless WayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant