Bonus - Dear Garrett,

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Garrett,

Il y a beaucoup de mots que j'ai manqué de te dire durant deux ans mais le plus important est que je suis désolé. Je suis désolé de t'avoir rendu triste, énervé, dépassé par les événements. Désolé de t'avoir laissé porter toutes nos douleurs à toi seul. Désolé si, souvent, tu t'es senti démuni par ma faute. Désolé de t'avoir exclu, de t'en avoir fait baver, désolé de t'avoir retenu tout ce temps.

Désolé de t'avoir détesté. J'avais l'impression que ce que tu faisais à mon égard n'était pas assez mais je ne voyais pas que, toi, tu faisais de ton mieux alors que je ne faisais rien du tout. Tu essayais de me garder la tête hors de l'eau ; moi je me laissais noyer. Et je t'en ai voulu, parce que c'était facile, parce qu'il fallait bien que je ressente quelque chose, parce qu'en te repoussant j'étais persuadé de ne pas souffrir si un jour j'étais amené à te perdre, toi aussi. Je voulais être seul, peut-être pour disparaître sans qu'on me retienne. Mais, ça n'a pas marché.

Depuis que les parents ne sont plus là, leur absence a creusé un énorme trou à l'intérieur de moi. Tout juste au milieu de mon coeur. L'as-tu déjà senti ce vide immense en toi, si oppressant ? La plupart du temps, il m'empêchait de respirer et quand j'osais prendre une respiration, je suffoquais. Comme si j'étais allergique à cette vie, qu'elle n'était plus faite pour moi. Quelque part en chemin, j'ai perdu la nuance entre vivre et exister. Le trou s'est comblé de noirceur. Ça me remontait dans tout le corps jusque dans ma tête, ça brouillait mes pensées. Mes idées noires étaient là, de plus en plus lourdes, de plus en plus fortes. Souvent je revivais le crash en boucle ; tout était si réel que ça me torturait l'esprit, ça me ravivait les douleurs corporelles et j'étais certain de le mériter. Des fois, c'était juste le fait d'être moi qui était douloureux - j'étais trop et pas assez en même temps. J'encaissais, j'absorbais toute cette souffrance mais un jour, ça n'a plus été soutenable. Ça me faisait réellement mal de vivre et c'est dans ma propre destruction que j'ai trouvé du réconfort. La vérité est que, le soir où j'ai blessé Ayden et Harry, ce n'était pas eux que je visais, c'était moi-même. Pour ça aussi, je suis désolé. Pas pour moi. Pour toi, Billie, Simon, Joan, Chris, Nora... Vous qui vous accrochiez désespérément à moi, pour me permettre de survivre.

Je n'ai pas d'explications à te donner, tout m'a échappé. Je me sentais plus moi-même et je voulais en finir. Ça fait deux ans que je ne me sens plus moi-même, G. Je n'ai jamais su changer ça. Peut-être que c'est pour cette raison que j'ai arrêté de parler, c'était ma manière de me substituer au monde. J'ai éteint ma voix et ce qui me tue dans tout ça, c'est que tu n'as jamais cessé d'attendre qu'elle revienne. Je ne me reconnais plus dans cette haine, cette douleur, cette tristesse mais c'est ce que je suis devenu. Juste une boule d'émotions prête à éclater à la gueule du premier qui me secouera. Et je ne pense pas que je redeviendrai le Leander que tu as connu, réalise qu'il est mort lui aussi dans ce crash. Tu devrais faire ton deuil, tu ne rassembleras jamais les morceaux du passé. Je déteste t'entendre dire que je dois être sauvé, recadré, redressé dans le bon chemin... Je ne suis pas une de ces maquettes que tu manies, tu ne me recolleras pas. Encore une fois, j'en suis désolé. Pardonne-moi pour tous ces espoirs que je n'ai pas su te rendre. Pardonne-moi d'avoir voulu abandonner et de ne pas avoir été fort. Je regrette énormément mon geste et mon intention de ce soir-là et il n'y a pas un jour, où je ne me bats pas pour que ces idées ne reprennent pas le dessus. C'est une guerre contre moi-même. Tu vois, des efforts j'en fait tous les jours Garrett.

Si je prends la peine de t'écrire, de t'avouer ce qui me pèse sur le coeur, c'est pour être honnête avec toi car tu l'as toujours été en retour. C'est pour te montrer que j'ai finalement ouvert les yeux sur tout ce que tu as fait pour moi. J'ai conscience des fois où tu as cru en moi, où tu m'as redonné des chances que je ne méritais même plus, où tu m'as donné des petits coups de pouce pour me propulser en avant. Tu as toujours tendu l'oreille, persuadé que je finirai par me tourner et m'appuyer sur toi. Je sais que plusieurs fois, tu as eu envie de lâcher prise mais tu ne l'as jamais fait - malgré ce que j'ai pu penser. Je t'ai longtemps reproché de t'être relevé, parce que je me sentais incompris mais j'étais surtout jaloux. J'ai envié ta force, ton courage, ta persévérance. J'ai envié la lumière qui brillait tout autour de toi puis j'ai réalisé que tu te l'étais construite toi-même et que tu ne la devais qu'à toi seul.

Silencieux, j'avais pourtant des tas de questions à te demander : comment tu faisais pour rire sans pleurer ? est-ce que tu les avais senti ces fissures en toi à l'annonce de leur mort ? est-ce qu'un moment sans eux t'empêchait de dormir toute une nuit ? ta peau te brulait-elle parfois ? ça t'arrivait de tout ressentir d'un coup ou bien plus rien du tout ? Et moi, je n'attendais qu'une seule de tes questions qui, elle non plus, n'est jamais venue. Juste pour savoir si ne serait-ce qu'un peu, tu partageais l'une de mes émotions. Au lieu de ça, on a souffert chacun de notre côté.

Je voudrais qu'on reprenne tout, qu'on accepte que notre vie a changé et que l'on s'en accommode. On fera les choses en mieux, Billie, toi et moi - comme tu me l'as souvent répété. Peut-être que je suis brisé mais au moins je suis là et tu devrais l'accepter. Je ne dis pas que j'irai jamais mieux ou que tu n'entendras plus ma voix, mais seulement que je n'ai pas besoin d'être réparé. Mes blessures sont là, elles ne partiront pas mais elles finiront par guérir. Ne t'en fais pas pour moi et ne t'en veux pas de ne pas réussir certaines choses, ça signifie sans doute que c'est à moi de les faire. Je sais que tu as trimbalé mon malheur comme un boulet accroché à ta cheville pendant si longtemps que mes problèmes se sont ajoutés aux tiens, mais tu as raison de t'en détacher maintenant.

Désolé d'avoir mis du temps à te parler, à te dire tout cela. Tout ce que je voyais, jusque-là, c'était un égoïste qui voulait tout contrôler pour son bien-être puis j'ai réalisé que je ne regardais pas bien. T'es un jeune homme qui a pris ses frères et soeurs en charge sans y être obligé. T'es un ami qui s'assurait que je ne sois jamais seul. T'es un fils qui est devenu tel que l'aurait voulu son père. T'es un frère qui veut mon bonheur. J'espère qu'un jour, tu verras la même chose en moi.

Je t'aime et je veux que tu sois heureux, Garrett. Alors, avance, je te promets que j'essayerai de te rattraper.

Leander

His Cheerless WayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant