Chapitre 1

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Jeudi 3 avril 2014

15h

《 Bien Mademoiselle Evans, merci mais je me passerai de vos services jusqu'à la fin de la journée. Me dit mon maître de stage.

Il me regardait avec un air hautin, les deux pieds sur le bureau et son énorme ventre dépassant, faisant presque exploser sa chemise alors que je lui ramenais son onzième café de la journée.

Je fis un peu la moue ce qui n'échappa pas à mon tuteur.

《 Bah quoi ? Estimez-vous heureuse, vous allez avoir du temps pour aller faire du shopping. Ah oui, j'oubliais vous n'êtes qu'une stagiaire, vous n'êtes pas payée suffisamment pour ça. 》

Il se mit à rire comme s'il venait de faire la meilleure blague de l'univers. S'il savait, il arrêterait de rire tout de suite.

Il porta son café à ses lèvres et se brûla. Après un énième reproche, il finit par le balancer sur moi, tachant mon bustier blanc tout neuf. Je pris sur moi et sortis de la pièce la tête haute pour aller chercher mes affaires. Dans le couloir je me cognai dans un jeune homme brun avec une casquette blanche à la main, nous nous excusâmes rapidement et chacun repartit de son côté comme si de rien n'était. J'étais bien trop occupée à ruminer contre cet imbécile de Robert Moreau. Certains me jalouseraient d'avoir la soi-disant chance d'apprendre auprès de lui. Pfff. S'ils savaient ce que me faisait vivre leur fameux Robert Moreau. Comme si ce vieux snob allait se donner la peine de m'apprendre quelque chose.

Arrivée dans le vestiaire, je me mis à pester contre le vieux grincheux qui profitait de sa place de maître de stage pour me pourrir la vie. Je savais que si je venais à répliquer, il retournerait cela contre moi dans son rapport pour valider mon diplôme. Cela fait quatre mois que je supportais toutes ses remarques rabaissantes et misogynes sans rien dire. Il ne me restait que deux petits mois à supporter cela et après ciao vieux crouton !

J'avais toujours rêvé de travailler dans le domaine de la musique et quelques années auparavant j'avais enfin trouvé mon métier idéal : directrice artistique dans une maison de disque ou un label, sauf que pour atteindre mon rêve j'avais besoin de valider ce stage et ce n'était pas ce vieux crouton qui allait m'en empêcher.

En sortant du placard à balais qui servait de vestiaire aux stagiaires comme moi, j'empruntais le couloir principal menant à l'escalier qui permettait d'accéder au hall. Je passai devant la porte entrouverte du fameux directeur artistique par laquelle j'entendis un morceau de musique. Logique me diriez-vous vu l'endroit où je me trouvais, mais celui-là avait quelque chose de particulier. Du rap français. Je m'arrêtais quelques instants pour écouter.

Est-ce que tu rêves d'avoir des rêves ? Est-ce que tu vois le ciel ?
P't-être que tu crois qu't'essayes en plongeant dans les ténèbres

Soudain le son se coupa et le verdict du vieux snob tomba : nul. Il expliqua à l'artiste en face de lui, un homme à en juger par la voix qui rappait quelques instants plus tôt, qu'il n'avait aucune chance de plaire et de vendre des disques. Voilà la seule chose qui intéressait ce vieux snob : l'argent.

J'entendis l'artiste se lever de son siège alors je repris ma route en direction des escaliers aussi vite que je pus car avec des escarpins et une jupe crayon, pour plaire à mon patron, ce n'était pas très pratique. J'en profitai pour libérer mes cheveux blonds du chignon stricte, exigé par Monsieur Moreau encore une fois.

Tout en descendant, je me fis doubler par le jeune homme dans lequel je m'étais cognée quelques minutes plus tôt en allant au vestiaire. Je reconnus immédiatement la casquette qu'il tenait dans sa main. Ça devait être lui le rappeur que je venais d'entendre. Je pris mon courage à deux mains et lui posai la question.

《 Salut, c'est toi qui étais dans le bureau de Monsieur Moreau ? 》

Il s'arrêta et se retourna vers moi. Je pus constater sa mâchoire contractée. Il sembla se détendre un peu en me reconnaissant. En même temps, vu l'énorme tache de café visible sur mon bustier blanc, il ne pouvait pas me rater.

《 Oui. Encore un commentaire à faire ? Me demanda-t-il sur la défensive.

Oui. 》

Je gardais la tête haute.

《 J'ai entendu ta maquette et les commentaires de mon patron en passant dans le couloir. Sache que je ne suis pas du tout d'accord avec lui. J'ai bien aimé, voir même adoré ton son.

- C'est vrai ? 》

Sa mâchoire se décontracta. Je pus même voir un début de sourire se former sur son visage.

《 Oui puisque je te le dis. Le rassurais-je en souriant.

J'allais poursuivre en me présentant mais quelqu'un arriva à ce moment-là dans les escaliers. J'invitai le rappeur à descendre et le trajet jusque dans la cour du bâtiment se fit silencieusement. En même temps, il fallait que je me concentre pour ne pas tomber avec les échasses qui me servaient de chaussures. Arrivés dans la cour pavée de l'immeuble qui servait de locaux à la maison de disque, nous nous arrêtâmes et je me présentais au jeune homme qui remit sa casquette après avoir passé une main dans ses cheveux.

《 Mihaëlle Evans, ou juste Mia, ravie de te connaître. Désolée je vous tutoie depuis tout a l'heure ça vous dérange ? 》

Il rit.

《 Non c'est bon, on peut se tutoyer. Ken Samaras. Enchanté. 》

Nous nous regardâmes dans les yeux en attendant que l'un d'entre nous ne prenne la parole. Ken brisa ce silence un peu gênant.

《 Ça te dirait d'aller prendre un verre ? Pour parler musique ou d'autres choses, comme tu veux. 》

Il passa sa main dans sa nuque d'un air gêné.

Je crus même le voir rougir. Était-ce mon imagination ?

J'acquiesçai et nous partîmes en direction d'un bar à quelques rues de là. 

Jeux d'ombresWhere stories live. Discover now